Ligne 7
Il y a quelqu'un qui marche sur ma tombe. Si on ne peut pas être tranquille, même là ! Maintenant, c'est acquis, Dieu est facultatif, pyramidal,
pas trop volumineux. Ici, chacun a le sien en contre-bas.
J'observe un lac gelé où coule un lent soleil noir.
C'est sublime. Des chiens qui sont des loups mais qui heureusement ne le savent
pas, poursuivent mon passé.
J'ai enfin couché avec ma cousine, l'autre ne saurait
tarder.
Quelqu'un marche sur ma tombe et ça m'irrite.
Mon éternel repos est troublé.
Ce n'est pas un pas d'enfant, je m'en régale.
Ce n'est pas le pas gauche et musical de l'amour sur le chemin du rendez-vous.
Ce n'est pas le pas de celui qui va à la guerre ou qui en revient.
Je connais bien ce pas, et même ce qui distingue le pas de celui qui s'en va
défendre son petit fourniment d'idées, son ciel ou sa terre ( et moins elle est
sa réelle possession et plus il la défendra ) — du pas abject et mal sonore du
mercenaire.
Ce n'est pas le pas du savant ou du philosophe à la poursuite solitaire des
idées.
C'est le pas veule, de l'homme émasculé de sa spécificité
d'homme, l'homme qui fait entrer des hommes dans son calcul.
Celui qui dit à celui-là : il m'en faut quinze cents, là, faites le ramassage à
l'aube, avec les autocars de la ligne 7.
Si vous n'avez plus de Portugais, mettez-moi des Arabes.
Il y a quelqu'un qui marche sur ma tombe.
Le coq a relevé sa crête et lance son appel stupide et sans
objet. Dans le tiroir, le couteau qui va lui trancher la gorge comme une
poignée de joncs est prêt, le coq est blasphémé, et la poule picore
mécaniquement des grains de pas grand-chose entre deux phrases.
Il y a un lycéen qui entre dans mon poème.
— Salut, jeune homme, tiens prends ça, ça, si ! N'hésite
pas, je l'ai mis de côté durant ma vie pour toi. Je t'attendais, ne me remercie
pas.
Il y a une lave qui coule de mon oeil gauche et quelqu'un
qui marche sur ma tombe, quelqu'un d'inopportun, qui par sa présence m'offense
profondément, jusque sous la terre.
On ne devrait laisser entrer dans les cimetières que les
enfants, les amoureux ou les orages, car rien ne m'est désormais meilleur que
boire la pluie mêlée d'éclairs, sans lèvres et sans regard.
Jean-Pierre
Rosnay
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