Passage des
heures (Extrait)
On a
chassé le bouffon du palais à coups de fouets, sans raison,
on a fait lever le mendiant de la marche où il était tombé.
On a battu l’enfant abandonné, on lui a arraché le pain des mains.
Oh, douleur immense du monde, où l’action se dérobe…
Si décadent, si décadent, si décadent…
Je ne suis bien que lorsque j’entends de la musique – et encore…
Jardins du dix-huitième siècle avant 89
où êtes-vous, moi qui n’importe comment voudrais pleurer ?
Tel un baume qui ne réconforte que par l’idée que c’est un baume,
Le soir d’aujourd’hui et de tous les jours, peu à peu, monotone, tombe.
On a allumé les lumières, la nuit tombe, la vie se métamorphose,
N’importe comment, il faut continuer à vivre.
Mon âme brûle comme si c’était une main, physiquement.
Je me cogne à tous les passants sur le chemin.
Ma propriété de campagne,
dire qu’il est entre toi et moi moins qu’un train, qu’une diligence
et que la décision de partir
si bien que je reste sur place, je reste…
Je suis celui qui veut toujours partir
et qui toujours reste, toujours reste, toujours reste –
jusqu’à la mort physique il reste, même s’il part, il reste, reste, reste…
Fernando Pessoa
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