Extrait du Topo de Jacques Castonguay, mon ami québecois qui a fait ce Chemin en Mai 2007
Florac > Saint-Germain-de-Calberte
Ce sont les rayons du soleil
levant qui par la lucarne du toit, me tirent du sommeil. Une autre belle et
chaude journée de soleil au programme pour un autre itinéraire de 30 kilomètres.
Je prends mon petit déjeuner en compagnie agréable de cinq autres randonneurs,
deux hommes et trois femmes pleines de vie et de bonne humeur ainsi que d’un
magnifique chat gris qui de toute évidence, est le maître des lieux. Au menu un
bon choix de confitures maison, dont une délicieuse et unique, car elle est faite
de pétales de rose. Quel goût raffiné, quel parfum et quelle façon civilisée de
commencer une journée ! Vive la France pour sa bonne bouffe ! Il faut néanmoins
reprendre la route. Le temps est beau, je suis bien reposé et c’est d’un pas
alerte que j’avale les premiers kilomètres. En moins de deux heures, je suis à Saint-Julien-d’Arpaon
puis sept km plus loin, à Cassagnas et enfin, à la belle et prospère
forêt domaniale de Fontmort. Ce nom viendrait de la légende d’une
« vieille fille » qui pour avoir eu un enfant illégitime aurait été
condamnée à errer dans le pays par une méchante fée et à enterrer un jour son
enfant au Plan de Fontmort, « Efont mort », enfant
mort..).
Dans un boisé, au plan de
Fontmort, je fais une pause au pied d’une belle stèle élevée en 1887 à la
mémoire des Camisards et sur laquelle est gravé:
« A l’occasion du
centenaire de l’édit de tolérance, les fils des Huguenots ont sur le théâtre
des anciens combats, élevé ce monument à la paix religieuse et à la mémoire des
martyrs ».
Dans ces lieux aujourd’hui paisibles, je m’imagine les
conditions de vie difficiles qu’ont dû connaître ici les Camisards harcelés par
les soldats. Leurs maisons détruites (466 hameaux) lors du « Brûlement des
Cévennes », ils ont dû se réfugier dans ces montagnes. Ceux qui osaient
s’approcher de leurs anciennes possessions étaient arrêtés et exécutés et tout
cela ne contribuait sans doute qu’à accroître les souffrances et les haines. Un
autre triste fait attire mon attention. Près d’une maison, je remarque une
modeste épitaphe sur laquelle est gravé le nom d’une personne. J’interroge à ce
sujet un homme qui travaille dans son jardin et j’apprends que dans le temps,
les Protestants sans église avaient aussi été privés du droit d’enterrer leurs
morts dans leurs cimetières, ce qui explique des mises en terre près des
domiciles.
Je continue mon avancée sur de
beaux sentiers et sous un soleil de plus en plus chaud. Treize autres
kilomètres avant d’arriver à St-Germain-de-Calberte, distrait par
mes réflexions sur les Camisards, à un carrefour, je confonds les balises
croisées de deux GR et prends la mauvaise direction. Me rendant compte de mon
erreur, je réalise que loin d’être rendu à ma destination du jour, j’en suis
encore à 20 kilomètres, c'est à dire à 5 heures de marche ! Trop fatigué pour un tel
trajet sur un soleil très chaud (30°C), je fais de l’autostop. Coup de chance,
la première voiture qui se pointe s’arrête. Son conducteur est un Belge et son
épouse en visite dans la région. Roulant en direction de St-Germain-de-Calberte,
ils acceptent aimablement de m’y déposer. Ces Belges sont comme moi des
amoureux de la Chine et lui, fut un alpiniste chevronné dans ses plus jeunes
années. Ces deux sujets passionnants de discussion animent nos échanges et
c’est un trajet fort agréable et intéressant que je fais avec eux. Voilà une
autre belle rencontre imprévue et qui termine fort bien une petite mésaventure.
A St-Germain-de-Calberte, je descends au gîte « Le Recantou » tenu par des Espagnols. Ce refuge est simple mais sympathique et j’y retrouve
avec plaisir mes deux Savoyards, le père et le fils. Je rencontre deux autres marcheurs, deux Français à la retraite avec qui je partage le dîner sur une
terrasse à l’extérieur. C’est l’anniversaire du propriétaire et nous avons
droit à un réconfortant armagnac qui nous fait poursuivre nos discussions tard
en soirée.
Au bout du village, non loin du traditionnel monuments
aux morts des deux grandes guerres, se dresse une insolite statue
« Hommage aux hommes des Cévennes » sous la forme d’un homme nu et
noir travaillant à la construction d’une cabane en pierres sèches. Plus tôt en
après-midi, en marchant dans les rues fleuries du village, j’ai remarqué une
belle croix en pierre. Durant ma marche sur le Chemin de Stevenson, un peu
partout j’ai vu des croix du chemin de toutes sortes, en bois, en pierre
et en fer forgé et de tailles différentes, des petites, des moyennes et des
grandes. Leur signification varie aussi. Tantôt, elles sont là pour protéger le
voyageur, parfois elles signalent un carrefour, et à d’autres endroits, elles
indiquent la présence d’un cimetière. Certaines sont simples et modestes alors
que d’autres sont imposantes, solidement plantées sur un socle monumental.
Certaines sont décorées de fleurs, ce qui témoigne qu’elles sont encore
respectées par la population. D’autres sont toutes seules mais fières et
fidèles au poste. Je n’en ai d’ailleurs vu aucune cassée ou en mauvaise
condition. Elles font partie du paysage et de la culture des gens des régions.
Mon père et ma mère avaient une telle croix en bois à la limite de leur terrain
et c’est avec beaucoup d’amour et de fierté qu’ils en prenaient soin. Lorsque
les voitures à chevaux étaient encore utilisées, j’ai aussi souvenir d’être
passé plusieurs fois avec mon père et mon grand-père devant un croix blanche et
noire au Village des Aulnaies. Je vois encore mon père et mon grand-père
soulever leur casquette par respect et dévotion. La foi était forte et vivante
à cette époque, tant dans les campagnes canadiennes que françaises et elle se
prêchait souvent sans sermon, par l’exemple !
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