Extrait du Topo de Jacques Castonguay, mon ami québecois qui a fait ce Chemin en Mai 2007
Du Puy-en-Velay à Le Monastier-sur-Gazeille
Au lever, le ciel est couvert
et cela n’augure pas bien pour la température du jour. De fait, après le petit
déjeuner, c’est sous une petite bruine tenace que je quitte l’Auberge de Jeunesse.
Je traverse la cathédrale pour sortir à l’ouest par l'impressionnante façade et
jeter un dernier regard sur les collines d’où j’avais attaqué le Chemin du
Puy-en-Velay en mai 2005. Je descends ensuite l’escalier abrupt de 134 marches
de la rue des Tables qui m’amène dans la vieille basse ville où je retrace les
balises rouges et blanches du GR 70. C’est le point de départ de ma marche.
Tout le long de ma route, je devrai consulter mon guide car divers
« GR » se coupent et peuvent prêter à confusion. Le premier hameau
traversé est celui d’Ours avec les ruines d’un château et une magnifique
et vénérable croix en pierre sculptée portant la date de 1660 soit près de
350 ans d’âge ! Dans la rosée, j’avance sur un joli sentier herbeux bordé
d’arbustes et de murettes qui témoignent d’un épierrage obligé du sol. Partout,
je verrai de tels murs de pierres que des générations d’agriculteurs ont dû
s’éreinter à édifier. Je remarque aussi des arbres dits « pins des
boulangers ». Il s’agit de petits pins qu’autrefois on élaguait pour en
tirer des fagots destinés aux boulangeries. Entre deux maisons du bourg, un
chien hargneux voulant m’impressionner déboule sur moi. Je l’ignore ce qui est
désarmant pour un chien et je continue ma route entre la Garde de l’Ours et
la Garde de Moris. Mon guide m’apprend qu’ici on appelle
« gardes » ces cônes volcaniques couverts de pins qui ponctuent le
plateau du Velay. A une bifurcation, je rejoins mes premiers randonneurs qui
s’avèrent être trois Ecossais, une femme et deux hommes venant marcher eux
aussi sur les traces de Stevenson, leur concitoyen. Coupe-vent aux couleurs
vives et sacs à dos rebondis, ils marchent à mon rythme. Je les reverrai donc
presque chaque jour et je serai à l’occasion leur interprète vu que leur
connaissance du français est limitée. Bons marcheurs, ils sont curieux de
l’histoire de la région et amoureux avec raison de la cuisine et des vins
français.
Après Les Esclos et Morgues,
j’arrive au bourg de Coubon en traversant la Loire sur un
pont moderne, l’ancien ayant été emporté par une crue en septembre 1980. Après
avoir laissé mes Ecossais à un café pour une pause, je m’arrête à une
boulangerie en observant au loin, sur une montagne dominant le village, les
ruines du château de Bouzols. En pleine forme et sous un ciel qui se
dégage, je poursuis mon chemin. Une autre belle croix de pierre grise m’indique
que j’arrive à Petalou que je dois traverser avant d’emprunter la route
de l’Holme et de Poinsac. Des sentiers se coupent, le GR 3 et le
GR 70 et ils me font hésiter. Je trouve toutefois le bon chemin pour parvenir
au hameau de l’Herm avec ses belles maisons de pierre et un joli
abreuvoir lavoir fleuri. Je reverrai souvent ces lavoirs qui ne sont
plus utilisés mais dont plusieurs ont été conservés. Toujours bien situés au
soleil et protégés des vents, les lavoirs avaient jadis une fonction pratique
évidente mais ils jouaient aussi un rôle social important car ils étaient des
lieux traditionnels de rencontres et d’échanges entre lavandières du bourg.
Traditionnellement, un abreuvoir était aussi situé près du lavoir et de
la fontaine qui fournissait l’eau et ceux que je vois sur le chemin sont
constitués de deux ou trois bacs en pierre de taille, du grès provenant de carrières
voisines. L’abreuvoir servait à fournir l’eau aux bestiaux qu’on conduisait au
pâturage. On retrouvait aussi souvent, pas loin des abreuvoirs, des métiers
à ferrer où on posait des fers aux boeufs de labour et aux chevaux. Ils
portent aussi le nom de « travail » ou « ferradou ».
Durant ma marche sur le Chemin de Stevenson, j’en vois quelques-uns,
certains en bois, d’autres en fer. A l’âge des tracteurs ils sont des témoins
silencieux d’une époque révolue. J’ai aussi souvenir d’avoir vu un tel « travail »
dans la campagne de mon enfance au Québec et d’y être allé avec mon père pour
faire ferrer un cheval.
J’arrive finalement à ma
destination du jour, Le Monastier-sur-Gazeille. C’est une ville qui
s’étire le long d’une rue à flanc de colline. Je dépose mon sac à dos au
confortable Relais Stevenson tenu par Emmanuel Falgon. C’est un fils du pays
revenu depuis un an pour ouvrir ce gîte pour randonneurs. Il a aménagé une
vieille maison qui peut loger une dizaine de marcheurs et leur offrir le
couvert. L’accueil est chaleureux et le gîte confortable et bien tenu. Après
une douche, je sors visiter la vénérable église abbatiale Saint-Théofrède ou
Saint-Chaffre. C’est un édifice roman du 11ème siècle à l’imposante façade
et aux murs de pierres ocres, brunes et noires. A l’intérieur, je remarque la
riche iconographie de ses chapiteaux sculptés et un orgue de 1518 avec un
buffet polychrome remarquable. Vers la fin du 5ème siècle fut
fondée ici l’Abbaye Saint-Chaffre . A l’arrière de l’église,
je découvre un château massif qui été autrefois la résidence du prieur de
l’ancienne abbaye. J’effectue une courte visite à la mairie pour voir une série
de photos illustrant le Chemin de Stevenson. Je remarque aussi des photos du viaduc
de Recoumène, un splendide ouvrage d’art à huit arches édifié dans les
environs mais que je n’ai pas le temps d’aller visiter. Il a été construit en
basalte bleu en 1922 pour la voie ferrée transcévenole qui ne fonctionna
jamais. Bel exemple d’une bêtise administrative et de dépenses inutiles, c’est
aujourd’hui le centre européen de saut à l’élastique. Stevenson a séjourné un
bon mois dans ce village et son livre en fait état. Il a de plus laissé des
croquis au fusain qui illustrent des dentellières de rue nombreuses ici en 1878.
Au gîte, je retrouve Rosa et Pierre, un couple de belges rencontrés au
Puy-en-Velay le jour précédent. Un ancien employé de Peugeot, Denis, partage ma
chambre. Grand randonneur, il est sympathique mais est aussi un bruyant
ronfleur et un grand bavard ! Je partage mon dîner avec Jacques et
Marie-Rose, deux autres belges grands amoureux de la marche. Jacques a fait
carrière dans l’importation de bois, ce qui l’a amené à visiter la côte ouest
du Canada à plusieurs reprises. Au repas, nous dégustons des saucisses de
Langogne servies avec les fameuses petites lentilles du Puy. Les jours
suivants, je verrai des champs plantés de ces lentilles qui sont protégées par
une AOC (appellation d‘origine contrôlée). Je m’endors au bruit de la pluie sur
les carreaux.
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