Je quitte l'Hostal à 6h. J'achète à la station Repsol de l'eau, de la Horchata et des biscuits puis je marche pendant un kilomètre sur la Nationale avant de retrouver le Chemin. Mon esprit navigue entre les pistes du Levante et les plaines sibériennes que traverse le Transsibérien...Comme chaque matin j'enchaîne les 500 lignes de ce grand texte de Cendrars ! En marchant, la mémorisation s'intègre plus profondément dans chaque partie de mon corps et je suis comme transfusé par cette folle aventure du poète et de sa compagne la petite Jeanne de France !
Ce matin, la campagne qui s'étend au long des champs labourés baigne dans une douce fraîcheur ! Vers 8h30 j'arrive au premier pueblo, El Pedernoso, avec à l'entrée un moulin à vent et sur la place de l'Ayuntamiento les statues en bronze de Don Quijote et Sancho Pança ! Un bar est ouvert et je prends mon petit déjeuner.
Pour sortir de ce pueblo, le balisage est absent et je me dirige en suivant mon intuition...Le paysage devient un peu plus varié, des vallons, des collines, une géométrie de courbes qui apporte un peu de douceur...Il y a même un arroyo au bord duquel je vais m'étendre un moment pour savourer cette belle matinée. Le chemin qui mène au prochain pueblo Santa Maria de los Llanos est agréable, il y a du raisin à profusion et arrivé dans le village, je vais au bar El Jardin où pour 4,50 euros, j'ai droit à une cerveza bien fraîche, une saucisse et une tortilla !! Il est un peu plus de midi quand je quitte cette localité avant d'affronter les 15 km qu'il me reste à parcourir sous un soleil qui commence à taper fort !
C'est un peu avant Mota del Cuervo que de loin on aperçoit les célèbres moulins à vent qui sont comme les gardiens séculaires de ce pueblo ! Il sont au nombre de cinq, alignés sur la crête comme une armée en ordre de bataille et je peux m'imaginer le délire de Don Quichotte monté sur Rossinante allant avec sa lance à l'attaque de ce qu'il prenait pour des géants !
Je vais parcourir les derniers 11km sous un soleil de plus en plus chaud, la température avoisine les 40°. Chemin de solitude, où il n'y a âme qui vive, qui serpente entre les champs d'oliviers et les vignes. Solitude, ô ma compagne de Chemin, douce et muette, sans aucun reproche...ma fidèle compagne, je te porte en moi comme une amante trop longtemps délaissée et qui est venue au long de ces journées suivre mes pas et peu à peu me rejoindre dans une étreinte mêlée de mélancolie et de joie !
A 5 km de El Toboso, j'aperçois qui émerge des vignes le clocher de l'église, mais plus j'avance, plus il me semble reculer...Est-ce le diable qui est à la manœuvre pour me déstabiliser ? J'avance vaillamment et j'entonne quelques chants pour me redonner du courage...Ah! ce clocher qui me paraissait si proche est maintenant si lointain que j'ai envie de crier et de courir pour conjurer ce mauvais sort...Mais un cabanon entouré d'une treille de laquelle pendent de belles grappes de raisin blanc va m'inviter à m'asseoir à l'ombre et à savourer ce raisin ! Après cette pause, je repars avec une énergie nouvelle affronter les derniers kilomètres... Le clocher réapparaît et il est maintenant tout proche...2km...1km...et les premières maisons de El Toboso qui tout en me procurant une bonne ombre me conduisent tout droit à l'Hostal El Quijote où je vais boire une double cerveza bien glacée avant de monter à ma chambre.
Dans la soirée, je fais un tour en ville, visiter l'église où se trouve, au-dessus de l'autel, une statue de Saint-Jacques Matamore. Je veux aller visiter la maison de Dulcinée connue sous le nom de Dulcinea de Toboso et qui a inspiré une passion vive et romanesque à Don Quijote, mais elle est fermée. Je fais quelques tours et détours dans cette jolie bourgade avant de finir la soirée dans un restaurant où le dîner va me réconforter et me faire oublier les quelques vicissitudes de cette étape assez éprouvante !
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