Les Fioretti de Saint François d'Assise
Comment
la Vierge Marie mit son Fils béni dans les bras de frère Conrad d'Offida
Au temps de ce saint frère Pierre, vivait frère Conrad d'Offida. Alors qu'ils
étaient ensemble de compagnie dans le couvent de Forano, de la Custodie
d'Ancône, ledit frère Conrad s'en alla un jour dans le bois pour contempler
Dieu, et frère Pierre le suivit secrètement pour voir ce qui lui adviendrait.
Et frère Conrad commença de se mettre en
oraison et de prier très dévotement la Vierge Marie avec de grands pleurs,
qu'elle lui obtint cette grâce de son Fils béni : qu'il sentît un peu de cette
douceur qu'éprouva saint Siméon le jour de la Purification, quand il porta dans
ses bras Jésus-Christ, le Sauveur béni. Et cette oraison faite, la
miséricordieuse Vierge Marie l'exauça, et voici apparaître la Reine du ciel
avec son Fils béni dans les bras, au milieu d'une lumière très éclatante. Et
s'approchant de frère Conrad, elle lui posa dans les bras ce Fils béni. Il le
reçut très dévotement et, l'embrassant, il le posa sur sa poitrine, et le
serrant il se consumait entièrement et se fondait en amour divin et en
inexplicable consolation. Et frère Pierre, pareillement, qui, caché, voyait
toute chose, sentit dans son âme une très grande douceur et consolation. La
Vierge Marie ayant quitté frère Conrad, frère Pierre retourna en hâte au
couvent, pour n'être pas vu de lui. Mais ensuite, quand frère Conrad y
retournait tout joyeux et de belle humeur, frère Pierre lui dit: "Ô Ciel,
tu as eu une grande consolation aujourd'hui". Frère Conrad répondit:
"Que dis-tu là, frère Pierre ? Que sais-tu que j'ai eu ?" "Je sais
bien, je sais bien", dit frère Pierre, "Que la Vierge Marie avec son
Fils béni t'a visité". Alors frère Conrad, qui, vraiment humble, désirait
garder secrètes les grâces de Dieu, le pria de ne le dire à personne. Et il y
eut depuis lors, un si grand amour entre eux deux, qu'il semblait qu'il n'y
eût entre eux qu'un cœur et qu'une âme en toutes choses.
Ledit frère Conrad, une fois, dans le couvent de Sirolo, délivra par ses
prières une femme possédée du démon, priant pour elle toute la nuit et
apparaissant à sa mère; et le matin il s'enfuit pour n'être pas trouvé et
honoré par le peuple.
Dudit frère Conrad d'Offida
Ledit frère Conrad d'Offida, admirable zélateur de l'évangélique pauvreté et de
la Règle de saint François, fut de si religieuse vie et de si grand mérite
auprès de Dieu, que le Christ béni l'honora de beaucoup de miracles, pendant sa
vie et après sa mort. Parmi lesquels, celui-ci : étant une fois, venu au couvent
d'Offida, en hôte de passage, les frères le prièrent pour l'amour de Dieu et de
la charité, d'avertir un jeune frère qui était dans ce couvent et qui se
comportait d'une façon si enfantine et si déréglée et si désordonnée, qu'il
troublait les vieux et les jeunes de cette famille, et il n'avait nul ou peu de
souci de l'Office divin et des autres observances régulières. Aussi, frère
Conrad, par compassion pour ce jeune homme et à cause des prières des frères,
appela à part ledit jeune homme, et en ferveur de charité il lui dit des
paroles d'avertissement si efficaces et si pieuses que, par l'opération de la
grâce divine, celui-ci, d'enfant qu'il était, devint subitement un vieillard
par sa manière de vivre, si obéissant et bienveillant et empressé et pieux, et
ensuite si pacifique et serviable et si appliqué à toute chose vertueuse, que,
de même qu'avant la famille était troublée par lui, ainsi, tous en étaient
ensuite contents et consolés et l'aimaient beaucoup.
Comme il plut à Dieu, il advint que peu de jours après sa conversion, ledit
jeune homme mourut, ce dont les frères eurent beaucoup de peine. Et peu de
jours après sa mort, son âme apparut à frère Conrad qui se tenait pieusement en
oraison devant l'autel dudit couvent, et le salua dévotement comme son père.
Et
frère Conrad lui demande : "Qui es-tu?" Celui-ci répond : "Je suis l'âme de ce jeune frère qui mourut ces
jours-ci". Et frère Conrad dit : "Ô mon fils bien-aimé, qu'en est-il
de toi?" Il répondit : "Mon Père bien-aimé, par la grâce de Dieu et
par votre doctrine, ça va bien, car je ne suis pas damné, mais pour certains de
mes péchés, que je n'ai pas eu le temps d'expier suffisamment, je supporte les
très grandes peines du purgatoire. Mais je te prie, Père, que, de même que par
ta piété tu m'as secouru de mon vivant, ainsi il te plaise de me secourir
maintenant dans mes peines, en disant pour moi quelques "Notre Père",
parce que ta prière est très bien acceptée en présence de Dieu".
Alors frère Conrad consentant à ses prières avec bienveillance et disant pour
lui une fois le "Notre Père" avec le "Requiem aeternam",
c'est-à-dire: "Donne-lui, Seigneur, le repos éternel", cette âme dit :
"Ô mon père bien-aimé, quel bien et quel rafraîchissement je sens !
Maintenant, je te prie de dire ces prières une autre fois". Et frère
Conrad les récita, et dès qu'il les eut récitées, l'âme dit : "Père saint,
quand tu pries pour moi, je me sens tout soulagé, aussi je te prie de ne pas
cesser de prier pour moi". Alors frère Conrad voyant que cette âme était
ainsi aidée par ses oraisons, dit pour elle cent fois le "Notre
Père". Et quand il les eut achevés, cette âme dit : "Je te remercie,
mon père bien-aimé, de la part de Dieu, de la charité que tu as eue envers moi,
car par ta prière, je suis libéré de toutes les peines et je m'en vais au
royaume céleste". Et ceci dit, cette âme s'en alla. Alors frère Conrad,
pour donner aux frères allégresse et réconfort, leur raconta toute cette vision.
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