Texte extrait du très beau livre de André Weill :
"Sur le chemin d'Assise, présence et simplicité" :
Chemin à deux
La piste de terre blanche s’étire dans les collines sous un
ciel gris métallique. Les moutons se regroupent pour se protéger de la
froidure. Nous marchons d’un bon pas pour se réchauffer et pour tenter de combler
un peu les trois heures de retard. Le vent frappe le visage. La vie est là, et
chacun semble apprécier la situation. Nous parlons peu.
Joie de la découverte progressive de l’autre qui est si
différent. De celui dont les histoires, les croyances, les profils, les
expériences, les peurs, les modes de vie et les comportements nous
questionnent. Joie d’un regard furtif. Joie de trois mots échangés et de dix
minutes de silence. Joie du contraste entre l’immobilité radicale du matin
et le bouillonnement du chemin présent. Joie de tendre une gourde d’eau, un
morceau de chocolat, un biscuit. Joie de montrer sur la carte où on en est.
Joie de pointer le nuage qui s’étire, l’arbre qui plie sous le vent au sommet de
sa colline. Joie de la lumière argentée si spécifique aux champs d’oliviers
lorsque le soleil apparait. Joie de partager la joie de François !
La Joie absolue n’a ni longueur ni profondeur ni aucune
dimension. Elle est libre de la perception du temps et de l'espace
Pienza
Pienza, une magnifique petite ville perchée sur sa colline
comme il y en a tant en Toscane. En arrivant, peu après 18 heures, première
accolade donnée à Carmen, qui n’en revient pas d’avoir si bien marché, sans
trop de fatigue apparente au bout des vingt sept kilomètres. La confiance
réciproque dans le duo semble acquise. Top là on continue demain. Quelques
courses rapides à la « Bottega del Naturista » pour cuisiner le repas du soir,
juste le temps de découvrir les besoins alimentaires de chacun. Puis rejoindre
le logement réservé la veille par téléphone.
Pienza, ville natale du pape Pie II (1405-1464), d’où émane
son nom. Parmi les hauts faits de cet homme, on notera, en 1461, la lettre écrite au sultan
Mehmet II qui avait pris Constantinople en 1453, lui promettant de le
reconnaître comme nouvel Empereur d'Orient s'il se convertissait au
catholicisme et protégeait l’Église.
Les croisades, un témoignage, parmi tant d’autres, de la
folie collective qui contrôle le monde et ses dirigeants depuis toujours. Non,
je ne blâme pas ici tel ou tel homme ni telle ou telle institution. Car la
folie de la croisade, de la soumission et de la conversion est à l’évidence une
constante de notre condition humaine manifestée partout et depuis la nuit des
temps. Ainsi chacun de nous !
Merci à toi François d’avoir traversé la folie de la
condition humaine pour atteindre la folie de l’Amour.
Pienza a le cœur authentiquement italien. Comme toutes ces
petites villes entre Toscane et Ombrie, elle a conservé son âme de magicienne
poétesse, danseuse, musicienne. Elle a préservé ses ruelles médiévales, là où
la gratitude aime à flâner, visiter une expo photos. Jeter un œil dans
l’intimité des escaliers et des cours ombragées. Rentrer dans une boutique
d’art, une librairie, un tabac ou un salon de coiffure. Boire un café dans le
somptueux « Relais Il Chiostro di Pienza ». Ou, sans-façon, commander un panino
al pecorino au « Piccolomini Caffé
». Goûter un grand cru d’huile d’olive à « Il Giardino Segreto ». S’arrêter sur
une placette et écouter la glycine. Ou le chat. Ou la grand-mère....
Dans le monde tout va ensemble, sauf l'Amour. Il ne va avec
rien.
L’Amour ne va avec rien. Il est tout et sans contraire. Il
est Attention portée au chemin du jour. Il est fredonnement du bâton caressant
le sol. Il est ocre des labours. Il est cambrure de la colline. Comme le
cyprès, il est élancement imputrescible, essence immortelle, incorruptible
parfum. L’Amour n’est rien. No thing. Pas une chose. Pas une chose,
mais créateur de toute chose. Loué sois tu, mon Seigneur avec toutes tes
créatures ! L’Amour ne va avec rien. Et surtout pas avec les mots. Ni le
je ni le tu. L’Amour est expérience directe, prodigieuse prophétie du Un.
Complétude du je, libre acteur de celui qui sème le tu. Ainsi François et le
lépreux.
La charité ne passera jamais. Les prophéties ? elles disparaîtront. Les langues ? elles se tairont. La science ? elle disparaitra.
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