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À l’Amitié – Extrait
Emporte-moi dans ton délire,
Muse errante aux yeux clignotants,
Qui vaticines et prétends :
« Mon bout de crayon, c’est ma lyre !
Mais je n’ai plus de papier blanc. »
Tu me diras tes soirs d’ivresse,
Tes nuits de gloire, tes succès,
Villon, Nerval, Rimbaud, Musset,
Et, sous tes grands airs de pauvresse,
Je devinerai la détresse
De ton vieux cœur sombre et blessé.
Tu me raconteras Verlaine,
Son absinthe au petit matin
Dans ce bar des Grands-Augustins
D’où l’on voyait couler la Seine
Moustache en croc et cheveux teints,
Moréas, fier de son monocle,
Qui pérorait du haut d’un socle,
Pour un chœur d’antiques catins ;
Tu me raconteras Corbière
Tenant la toile, en matelot ;
Et Laforgue, les pieds dans l’eau,
Avec son gibus en arrière,
Son air lunaire et rigolo,
D’un rigolo à la manière
Falote d’un Pierrot falot,
Avant de mourir poitrinaire...
« J’ai passé ma vie à t’attendre ! »
Geignait la Muse, l’air narquois.
Attendre qui, attendre quoi ?
Mais la voix se faisait plus tendre.
Elle disait : « Ô matelots !»
Avec un accent monégasque
Mêlé de rires et de sanglots.
Francis Carco
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