Pablo Neruda





3 Poèmes extraits du recueil :

"Les Vers du Capitaine"

"Belle"


"Le goût de ta bouche..."

"Nous avons dû ma sauvageonne..."


Dits par Michel d'Auzon
avec en illustrations des peintures
de
Robert Renard

 

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Belle,
pareil à l’eau qui sur la pierre fraîche
de la source
ouvre son grand éclair d’écume,
est ton sourire,
belle.

Belle,
aux fines mains, aux pieds déliés
comme un petit cheval d’argent,
fleur du monde, marchant,
je te vois moi,
belle.

Belle,
avec un nid de cuivre enchevêtré
dans la tête, un nid
d’une brune couleur de miel
où mon coeur brûle et se repose,
belle.

Belle,
aux yeux trop grands pour ton visage,
aux yeux trop grands pour la planète.
I1 y a des pays, des fleuves
dans tes yeux,
ma patrie se tient dans tes yeux,
je vagabonde à travers eux,
ils donnent sa clarté au monde
partout où s’avancent mes pas,
belle.

Belle,
tes seins sont pareils à deux pains
- terre froment et lune d’or -,
belle.

Belle,
ta taille
mon bras l’a faite comme un fleuve
mille années parcourant la douceur de ta chair,
belle.

Belle,
rien n’a le charme de tes hanches,
la terre en quelque lieu caché
a peut-être, elle,
la courbe de ton corps et son parfum,
en quelque lieu peut-être,
belle.

Belle, ma belle,
ta voix, ta peau, tes ongles,
belle, ma belle,
ton être, ta clarté, ton ombre,
belle,
tout cela est mien, belle,
tout cela, mienne, m’appartient,
lorsque tu marches ou te reposes,
lorsque tu chantes ou que tu dors,
lorsque tu souffres ou que tu rêves,
toujours,
lorsque tu es proche ou lointaine,
toujours,
ma belle, tu es mienne,
toujours.

 
( "L'Amour")
 

"Le goût de ta bouche et la couleur de ta peau,
peau, bouche, mon fruit de ces jours rapides,
dis-moi, ont-ils été sans cesse à ton côté
à travers années et voyages, lunes et soleils
et terre et pleurs et pluie et joie
ou seulement aujourd'hui, seulement
sortent-ils donc de tes racines
de même qu'à la terre aride, l'eau apporte
des germinations inconnues
ou qu'aux lèvres de la cruche oubliée
arrive avec l'eau le goût de la terre ?

Je ne sais pas, ne m'en dis rien, tu ne sais pas.
Nul ne connaît ces choses là.
Mais quand j'approche tous mes sens
de la lumière de ta peau, tu disparais,
tu fonds comme l'acide
parfum d'un fruit,
comme la chaleur d'un chemin,
l'odeur du maïs qui s'égrène,
le chèvrefeuille du soir pur,
les noms de la terre poudreuse,
l'arôme sans fin du pays :
magolia et buisson, sang et farine
et galop de chevaux,
comme la lune poussiéreuse du village,
le pain fraîchement né :
ah! tout de ta peau revient à ma bouche,
revient à mon coeur, revient à mon corps
et je redeviens avec toi
la terre que tu es :
tu es en moi printemps profond :
et à nouveau en toi je sais comment je germe.


( "Ode et Germinations - I )


"Nous avons dû, ma sauvageonne,
nous ressaisir du temps perdu
et revenir sur nos pas pour, de baiser en baiser,
abolir la distance de nos vies,
récupérant ici ce que sans joie
nous avions donné, découvrant
là le chemin secret
qui rapprochait tes pas des miens,
et ainsi, sous ma bouche,
voici que tu revois la plante insatisfaite
de ta vie qui allonge ses racines
vers mon cœur et vers son attente.
.........
Nous voici enfin face à face,
 
nous nous sommes trouvés,
 
rien n'a été perdu.
Et lèvre à lèvre nous nous sommes parcourus,
 
mille fois nous avons troqué
entre nous la mort et la vie,
 
tout ce que nous portions en nous
comme autant de médailles mortes
nous l'avons jeté à la mer,
 
tout ce que nous avions appris
nous a été bien inutile :
nous avons commencé,
 
nous avons terminé
à nouveau mort et vie.
Nous sommes là, nous survivons,
 
purs d'une pureté que nous avons créée,
 
plus vaste que la terre qui n'a pu nous fourvoyer,
 

et éternels comme le feu qui brûlera
tant que la vie ne cessera."


( "Ode et Germinations - III )

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