Samedi 17 Mai 2008  -  Riego del Camino > Tabara  (34,4 km)



Le livre de la pauvreté et de la mort
(Paris, 1902)


Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes,
solitaire comme une veine de métal pur ;
je suis perdu dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon .
Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre .

Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur ;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante,
qu'elle m'écrase, que toute ta main soit sur moi,
et que je me perde en toi dans un cri .

Toi, mont seul immuable dans le chaos des montagnes,
pente sans refuges, sommet sans nom,
neige éternelle qui fait pâlir les étoiles,
toi qui portes à tes flancs de grandes vallées
où l'âme de la terre s'exhale en odeurs de fleurs .

Me suis-je enfin perdu en toi,
uni au basalte comme un métal inconnu ?
Plein de vénération, je me confonds à ta roche,
et partout je me heurte à ta dureté .

Ou bien est-ce l'angoisse qui m'étreint,
l'angoisse profonde des trop grandes villes
où tu m'as enfoncé jusqu'au cou ?

Ah, si seulement un homme pouvait dire
toute leur insanité et toute leur horreur,
aussitôt tu te lèverais, première tempête de monde,
et les chasserais devant toi comme de la poussière...

Mais si tu veux que ce soit moi qui parle,
je ne le pourrais pas, car je ne comprends rien ;
et ma bouche, comme une blessure,
ne demande qu'à se fermer,
et mes mains sont collées à mes côtés comme des chiens
qui restent sourds à tout appel .

Et pourtant, une fois, tu me feras parler .

Que je sois le veilleur de tous tes horizons...
Permets à mon regard plus hardi et plus vaste
d'embrasser soudain l'étendue des mers .
Fais que je suive la marche des fleuves
afin qu'au delà des rumeurs de leurs rives
j'entende monter la voix silencieuse de la nuit .

Conduis-moi dans tes plaines battues de tous les vents
où d'âpres monastères ensevelissent entre leurs murs,
comme dans un linceul, des vies qui n'ont pas vécu...

Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites ;
la panique des incendies couve dans leur sein,--
et elles n'ont pas de pardon à attendre
et leur temps est compté.

Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert ;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond de nuits sans nom
au sourire d'un peuple plein de foi .

Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt .

La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu'ils soient hésitants et faibles,--
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.

Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coup de chaque heure leur fait mal ;
ils rôdent, solitaires, autour des hôpitaux
en attendant leur admission avec angoisse .

La mort est là . Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leur enfance,--
mais la petite mort comme on la comprend là ;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas .

O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère .


Rainer Maria Rilke




  • Le monastère cistercien de Moreruela


                         
    Les cigognes y ont installé leurs nids                                                                Les chemins qui mènent vers l'infini...



    Le Puente de Quintos sur le Rio Esla


                       
    Au dessus du Rio, le sentier grimpe au milieu d'une belle végétation



    Le Rio s'est élargi et donne l'aspect d'un lac



    Le point haut est bienvenu pour faire une pause


                        
    Toujours ces chemins qui s'allongent pour laisser se mouvoir en nous la liberté....
     


    C'est aujourd'hui une belle étape ! Je fais un détour pour visiter le monastère de Moreruela, à demi abandonné
    mais qui conserve toute la splendeur de ces grands ensembles cisterciens ! De nombreuses cigognes ont élu
    domicile dans les clochers et les tours. J'arrive ensuite au pont de Quintos sur le Rio Esla.
    Je choisis de suivre les sentiers longeant le Rio qui à cet endroit s'élargit dans un paysage superbe.
    J'arrive à un point haut d'où l'on a une vue magnifique !
    C'est l'endroit idéal pour faire une pause et grignoter quelques restes...

    "La Marche à l'Amour, la marche nuptiale, l'envol des papillons...
    Les chemins bordés de cistes et d'asphodèles,
    les chemins caillouteux, lignes parallèles et perpendiculaires qui coupent les collines !
    Où es-tu mon Amour ? Là tout près de moi, dans mon cœur qui palpite et déborde !
    Et tous ces pas, ces  poèmes qui s'égrènent au fil des kilomètres !
     Chemin solitaire, chemin d'épreuve, la fin de l'étape est encore loin...
    Au bout de la route, j'irai à ta rencontre pour ensemble faire un nouveau Chemin !"

    J'arrive à l'Albergue de Tabara à 14h30. Il y a peu de place, les lits sont très serrés et il n'y a pas d'accueil.
    Heureusement je trouverai le réconfort dans un bon dîner sur la Plaza Mayor avec 2 pèlerines allemandes.


     


    Hébergement au Refuge Municipal situé sur le haut du pays près d'un grand lavoir.
    Mauvais agencement du dortoir avec des lits trop serrés les uns des autres.

    5 Euros pour la nuit - 1 Coquille
     

     


    Extrait de "Paris, ma rose"

    Les chants des hommes sont plus beaux qu'eux-mêmes,
    plus lourds d'espoir,
    plus tristes, plus durables.

    Plus que les hommes, j'ai aimé leurs chants.
    J'ai pu vivre sans les hommes,
    Jamais sans les chants.

    Il m'est arrivé d'être infidèle à ma bien-aimée,
    jamais au chant que j'ai chanté pour elle;
    jamais non plus les chants ne m'ont trompé.

    Quelque soit leur langage,
    j'ai toujours compris tous les chants.

    Rien en ce monde,
    de tout ce que j'ai pu boire et manger,
    de tous les pays où j'ai voyagé,
    de tout ce que j'ai pu voir et entendre,
    de tout ce que j'ai pu toucher et comprendre,
    rien,
    rien ne m'a jamais rendu aussi heureux
    que les chants..


    Nazim Hikmet





  • Paix égale

    Paix des nerfs au cœur malade .
    Paix égale mûrir sa loi,
    sucée à la vie,
    à la vie nébuleuse, à la vie...
    mais lourd le char, lourd, lourd .

    Les apaiser,
    Leur envoyer du vent,
    le vent chaud des bouches suaves,
    le vent chaud du désert souverain .

    "Et maintenant...FERMEZ vos corolles d'angoisse !"


    Henri Michaux
     

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