Lundi 12 Septembre 2011 :  Roncesvalles > Larrasoaña   27 km

 


"Ci-dessous les quatre derniers chapitres d'
Une Saison en Enfer  qui présentent le retour progressif
à la raison, cheminement tout de même interrompu par quelques mirages et quelques désespoirs.
Dans
 L'Impossible, Rimbaud évoque tour à tour l'Orient et la science.
Dans
 L'Éclair, tout rêve, tout mysticisme apparaissent vains,
alors qu'avec
 Matin l'expression de l'espoir prend le dessus.
Enfin, Rimbaud explique avec
 L'Adieu qu'il ne lui reste plus
qu'à s'astreindre au travail : lui qui s'est dit mage ou ange, dispensé de toute morale,
il est rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre."

(Commentaire pris sur le site poetes.com)



 


     L'IMPOSSIBLE


    Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé
    que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'était. - Et je m'en aperçois seulement !
     
    - J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propreté
    et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous.
    J'ai eu raison dans tous mes dédains : puisque je m'évade !
        
    Je m'évade !
    Je m'explique.

    Hier encore, je soupirais: "Ciel !  sommes-nous assez de damnés ici-bas !  Moi, j'ai tant de temps déjà dans leur troupe !
    Je les connais tous. Nous nous reconnaissons toujours ; nous nous dégoûtons. La charité nous est inconnue.
    Mais nous sommes polis ; nos relations avec le monde sont très-convenables."
    Est-ce étonnant ?  Le monde ! les marchands, les naïfs ! - Nous ne sommes pas déshonorés.
    - Mais les élus, comment nous recevraient-ils ?
    Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux élus, puisqu'il nous faut de l'audace ou de l'humilité pour les aborder.
    Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénisseurs !
     
    M'étant retrouvé deux sous de raison - ça passe vite ! - je vois que les malaises viennent de ne m'être pas figuré assez tôt que
    nous sommes à l'Occident. Les marais occidentaux !  Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré...
    Bon ! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les développements cruels qu'a subi l'esprit depuis la fin de l'Orient...
    Il en veut, mon esprit !
      
    ... Mes deux sous de raison sont finis !
    - L'esprit est autorité, il veut que je sois en Occident. Il faudrait le faire taire pour conclure comme je voulais.
    J'envoyais au diable les palmes des martyrs, les rayons de l'art, l'orgueil des inventeurs, l'ardeur des pillards ;
    je retournais à l'Orient et à la sagesse première et éternelle.  - Il paraît que c'est un rêve de paresse grossière !
     
    Pourtant, je ne songeais guère au plaisir d'échapper aux souffrances modernes. Je n'avais pas en vue la sagesse bâtarde du Coran.
    - Mais n'y a-t-il pas un supplice réel en ce que, depuis cette déclaration de la science, le christianisme, l'homme
    se joue,
    se prouve les évidences, se gonfle du plaisir de répéter ces preuves, et ne vit que comme cela ! Torture subtile, niaise ;
    source de mes divagations spirituelles. La nature pourrait s'ennuyer, peut-être !  M. Prudhomme est né avec le Christ.
     
    N'est-ce pas parce que nous cultivons la brume !  Nous mangeons la fièvre avec nos légumes aqueux. Et l'ivrognerie ! et le tabac !
    et l'ignorance ! et les dévouements ! - Tout cela est-il assez loin de la pensée, de la sagesse de l'Orient, la patrie primitive ?
    Pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s'inventent !

    Les gens d'Église diront : C'est compris. Mais vous voulez parler de l'Eden. Rien pour vous dans l'histoire des peuples orientaux.
    - C'est vrai ;  c'est à l'Eden que je songeais !  Qu'est-ce que c'est pour mon rêve, cette pureté des races antiques !
     
    Les philosophes : Le monde n'a pas d'âge. L'humanité se déplace, simplement. Vous êtes en Occident, mais libre d'habiter dans votre
    Orient, quelque ancien qu'il vous le faille, - et d'y habiter bien.  Ne soyez pas un vaincu. Philosophes, vous êtes de votre Occident.
     
    Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi ! - Ah! la science ne va pas assez vite pour nous !

    - Mais je m'aperçois que mon esprit dort.

    S'il était bien éveillé toujours à partir de ce moment, nous serions bientôt à la vérité, qui peut-être nous entoure
    avec ses anges pleurant !... - S'il avait été éveillé jusqu'à ce moment-ci, c'est que je n'aurais pas cédé aux instincts délétères,
    à une époque immémoriale !... - S'il avait toujours été bien éveillé, je voguerais en pleine sagesse!...
     
    Ô pureté ! pureté !

    C'est cette minute d'éveil qui m'a donné la vision de la pureté !  - Par l'esprit on va à Dieu !

    Déchirante infortune !


    Une Saison en Enfer  -  Arthur Rimbaud


J'ai quitté l'albergue vers 6h30, il faisait encore nuit,
et la lune éclairait mon chemin...

      


Dans la fraîcheur du matin, l'itinéraire est facile et agréable sur des sentiers aménagés,
avec quelques montées et davantage de descentes...


Les pèlerins s'égrènent au fil du Chemin...


Les paysages s'éveillent sous cette belle lumière du matin...


Chemins, sentiers, pistes, on est sur un parcours bien balisé !

    
Je retrouve ces balises typiques des Chemins en Espagne...           Une plaque pour rappeler que sur le Chemin  
                                                                                                                   quelques pèlerins ont laissé leur vie !


Je déclame quelques poèmes, histoire de laisser éclater toute l'émotion et les

sentiments de bonheur et de liberté qui m'animent au cours de cette matinée...



    L'ECLAIR

    Le travail humain ! c'est l'explosion qui éclaire mon abîme de temps en temps.
    "Rien n'est vanité ;  à la science, et en avant !" crie l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire
    Tout le monde.
    Et pourtant les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le coeur des autres...
    Ah ! vite, vite un peu ;  là-bas, par delà la nuit, ces récompenses futures, éternelles... les échappons-nous ?...
     
    - Qu'y puis-je ? Je connais le travail ; et la science est trop lente. Que la prière galope et que la lumière gronde...
    je le vois bien. C'est trop simple, et il fait trop chaud; on se passera de moi.
    J'ai mon devoir, j'en serai fier à la façon de plusieurs, en le mettant de côté.

    Ma vie est usée. Allons ! feignons, fainéantons, ô pitié ! Et nous existerons en nous amusant, en rêvant amours monstres
    et univers fantastiques, en nous plaignant et en querellant les apparences du monde, saltimbanque, mendiant,
    artiste, bandit, - prêtre !  Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante ;
    gardien des aromates sacrés, confesseur, martyr...

    Je reconnais là ma sale éducation d'enfance. Puis quoi !... Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt ans...

    Non ! non ! à présent je me révolte contre la mort !  Le travail paraît trop léger à mon orgueil :
      ma trahison au monde serait un supplice trop court. Au dernier moment, j'attaquerais à droite, à gauche...

    Alors, - oh ! - chère pauvre âme, l'éternité serait-elle pas perdue pour nous!


    MATIN


    N'eus-je pas
    une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or, - trop de chance !
    Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mérité ma faiblesse actuelle ?
    Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent,
    que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil.
    Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le mendiant avec ses continuels
    Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler !

    Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer.
    C'était bien l'enfer ;  l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.
      
    Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent
    les Rois de la vie, les trois mages, le coeur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts,
    saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition,
    adorer - les premiers ! - Noël sur la terre !

    Le chant des cieux, la marche des peuples ! Esclaves, ne maudissons pas la vie.

    Une Saison en Enfer  -  Arthur Rimbaud




Rencontre avec 2 Coréennes.


Je suis dans la bonne direction !


Arrivé à Zubiri, je reconnais l'albergue où j'ai dormi en 2005.





Le pont qui marque l'entrée du village de Larrasoaña, terme de mon étape.


Il est 13h30, et j'attends avec d'autres pèlerins l'ouverture de l'albergue municipale qui se fera vers 15h.

 

Hébergement à l'albergue de Larrasoaña
Refuge assez bien équipé (Sanitaires réduits et lits serrés)
2 Coquilles

 


    ADIEU

    L'automne, déjà ! - Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine,
    - loin des gens qui meurent sur les saisons.

    L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel
    taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié !
    Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts
    et qui seront jugés !
    Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers
    dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment...
    J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation !  J'exècre la misère.

    Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du confort!

    - Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or,
    au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes,
    tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues.
    J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien !  je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs !
    Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !

    Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher,
    et la réalité rugueuse à étreindre !  Paysan !
      
    Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?
    Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons.
    Mais pas une main amie !  et où puiser le secours ?
                                                         ___________________________________________

    Oui, l'heure nouvelle est au moins très-sévère.
    Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent.
    Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands,
    les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. - Damnés, si je me vengeais !
    Il faut être absolument moderne.

    Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit !  le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi,
    que cet horrible arbrisseau !... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ;
    mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.

    Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle.
    Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

    Que parlais-je de main amie !  Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères,
    et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ;
    - et il me sera loisible de
    posséder la vérité dans une âme et un corps.

    Avril - Août, 1873


    Une Saison en Enfer  -  Arthur Rimbaud
     

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