Allons, viens ici, Poésie,
Que je te donne un coup de peigne !
Petite, où passeras-tu la nuit ?
Quoi? Mais tu pleures, mais tu saignes !
Que t’est-il arrivé ? Avoue !
... Et cette mine de fantôme !
Ah, je reviens de loin, dit-elle,
Quelqu’un m’a craché sur la joue !
O ma pauvre petite môme,
Quels sagouins t’ont cherché querelle ?
Tu as chanté pour des badauds
Et bien sûr, ce n’est pas un crime,
Mais tu chantes toujours trop haut,
On ne peut plus croire à des rimes
Appelant au secours les anges
Ou trottant au bord des abîmes.
Ces lurons n’ont pas la berlue,
Tout ça leur paraît de la frime
Et tes cris du cœur la dérangent,
N’en fais pas retentir les rues!
Tes voisins manquent de sommeil,
Si tu veux gazouiller, mésange,
Il faut gazouiller à voix basse
Car leur bon repos se tracasse
Au simple fredon d’une abeille.
Regarde Michel, Octavie,
Léandre, Chantal et Mireille
Peiner aux champs, faucher aux prés
Cent mille moteurs à l’oreille!
Entends-les gémir à l’extrême
Accablés par leurs théorèmes,
Ces braves gens n’ont guère envie
Qu’on leur ouvre des bois sacrés.
De leurs tracas encor tout blêmes,
Ces enfants auraient mauvais gré
D’en savoir si long sur la vie,
Et que veux-tu que ça leur fasse
Notre «Soif de l’âme», bagasse!
Pas de brûlante confidence.
En fuyant comme l’écureuil,
Les temps, les cœurs, les rêves dansent.
Sache te mettre à leur école :
Danse et tais-toi, ma grande Folle.
Danse et puis fais ce que tu veux,
Puisqu’en sa grâce et sans mentir,
Seule ici-bas la danse peut
Tout promettre et ne rien tenir.
S’il te vient une larme à l’œil,
Ma lèvre t’attend sur le seuil,
Toute à sa noire jalousie,
Pour te la boire, ô poésie !
Norge (Georges Mogin)
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