Samedi 24 Septembre 2016 : Vilalba > Baamonde    20 km

Etape 34 /38


    Entre la Pierre et la Fleur (1976)

    I)

    Au lever du jour, nous nous éveillons pierres.
    Rien, sinon la lumière. Il n'y a rien sinon la lumière contre la lumière.
    La Terre : paume d'une main de pierre.
    L'eau silencieuse dans sa tombe calcaire.
    L'eau encerclée, humble langue humide qui ne dit rien.
    La terre élève une vapeur. Des oiseaux sombrent volent, boue ailée.
    L'horizon : tous ces nuages dévastés.
    Une plaine énorme, sans rides.
    L'Henequen, indice vert, divise les espaces terrestres. Le ciel déjà sans lisières.

    II)

    Quelle est cette terre ? Quelles violences germent sous sa peau pétrifiée,
    quelle obstination de feu déjà froide, d'années en années, comme de la salive
    s'accumulant, se durcit et s'aguise en piquants ?

    Une région qui existe avant que le soleil et l'eau ne hissent leurs drapeaux ennemis,
    une région de pierre créée avant la double naissance de la vie et de la mort.

    Dans la plaine la plante s'installe, en vastes plantations militaires.
    Armée immobile, face au soleil giratoire et aux nuages nomades.

    L'Henequen, vert et enraciné, pousse en raquettes larges et triangulaires :
    c'est un jet d'alfanges végétales. L'Henequen est une plante armée.

    De ses fibres remonte une soif de sable. Il vient des règnes du dessous, il pousse
    jusqu'en l'air, et en plein élan, son jet se retient, changé en une huppe hostile,
    verdeur qui se termine en pointes. Forme visible de la soif invisible.


    L'agave est véritablement admirable (ndt : Agave (du grec agauê: admirable)).
    Sa violence est quiétude, sa quiétude symétrie. Sa soif fabrique la liqueur qui l'étanche :
    c'est un alambic qui distille pour lui même.

    Au bout de vingt cinq années, s'élève sur lui une fleur, rouge et unique.
    Une tige sexuelle la dresse, flamme pétrifiée. Puis, elle meurt.

    Octavio Paz


    (Suite en bas de page)
     


Tant que tu ne peux pardonner à autrui d'être différent de toi,
tu es encore bien loin du chemin de la sagesse.

Sagesse chinoise




Le cimetière dans la brume matinale...


Danielle la pèlerine de Metz avec laquelle je fais une partie de l'étape...


Un joli pont médiéval à Puente de Saa


C'est le temps de la déclamation poétique...





La Galice avec ses vertes prairies, ses pommiers, ses moutons et ses vaches...

    



Baamonde : L'église paroissiale et le châtaignier plusieurs fois centenaire


Petite visite de la Casa-Museo Victor Corral

                                             








                      
                                                                                                           
L'artiste à l'oeuvre

                                                             
Le châtaignier  plusieurs fois centenaire...                                                               Saint-Jacques sculpté dans le tronc     

     
 
Dîner le soir au restaurant Galicia avec Marie-Lu pèlerine de Laval
 


    Je prends le petit-déjeuner à 6h servi à l'Albergue. Jus d'orange, tartines grillées avec beurre et confiture
    et cafe con leche ! Ce n'est pas souvent qu'une Albergue vous propose le petit-déjeuner et de plus à une
    heure
    aussi matinale, ce que j'apprécie ! A 6h30, avec Danielle nous sommes sur le Chemin avec la lampe
    frontale, enveloppés dans une nuit profonde où dans le ciel scintillent des milliards d'étoiles...
    Ce départ matinal nous permet de profiter de ce moment privilégié qu'est l'éveil de la nature avec les
    belles couleurs de l'aube...

    Arrivés à Pedrouzos, nous nous arrêtons dans un bar pour une moment de repos et boire un coca.
    Je laisse Danielle partir et je continue seul l'étape pour prendre le temps de mes déclamations poétiques
    quotidiennes... Je ne la reverrai qu'à Santiago, car elle a décidé de continuer l'étape après Baamonde où
    j'ai prévu de m'arrêter.

    Le Chemin est agréable avec peu de dénivelés... Il s'étire entre de petits pueblos au long de petites routes,
    de pistes et de sentiers forestiers avec de temps à autre de belles ouvertures sur des pâturages...
    Il y a un beau passage sur un pont médiéval et aujourd'hui la nature est généreuse et m'offre de belles
    quantités de mûres et des pommes délicieuses...

    La matinée a été assez brumeuse et après 10h, le soleil prend le dessus et réchauffe une campagne encore
    engourdie par le froid matinal. J'arrive à Baamonde vers midi. Je mange une tortilla avec une cerveza dans
    le bar situé juste à côté de l'Albergue qui ouvre seulement à 13h.

    Je fais une bonne lessive dans la machines mise à disposition pour les pèlerins avec ce qui est bien
    appréciable, une machine pour sécher le linge ! Ensuite, douche, repos, carnet, photos...

    Dans la soirée, je vais visiter l'église, le châtaignier plusieurs fois centenaire et le musée Victor Corral qui
    renferme de nombreuses oeuvres de cet artiste galicien de grande renommée qui a réalisé des sculptures
    en bois, en granit, en marbre et en bronze...Il a transformé ce châtaignier en une œuvre tout à fait originale
    puisqu'elle contient plusieurs de ses oeuvres dont une très belle Vierge à l'Enfant.
    Un peu plus tard, je retrouve Marie-Lu au restaurant Galicia pour un dîner composé de spécialités galiciennes.

 

Cette vierge à l'enfant est sculptée à l'intérieur du tronc de ce châtaignier transformé en œuvre d'art
 

 


Hébergement à l'Albergue de Peregrinos de Baamonde

Ouvre à 13h
Au RDC, des petits dortoirs de 8 lits
A l'étage, grand dortoir
Cuisine mal équipée - Machines à laver et à sécher le linge
 (3 coquilles)

 


     
    Entre la Pierre et la Fleur (1976)
    (Suite et Fin)

    III)

    Entre la pierre et la fleur, l'homme : la naissance qui nous conduit à la mort,
    la mort qui nous conduit à la naissance.

    L'homme,
    pluie persistante sur la pierre,
    et fleuve entre les flammes,
    et fleur qui vainc l'ouragan,
    et oiseau semblable au bref éclair :
    l'homme entre ses fruits et ses oeuvres.

    L'Henquen, verte leçon de géométrie, sur la terre blanche et ocre.
    Agriculture, commerce, industrie, langage.

    C'est une plante vivace et c'est une fibre, c'est une action en bourse et c'est un signe.

    C'est le temps humain, temps qui s'accumule, temps qui se dilapide.

    Le soleil et la plante, la plante et l'homme, l'homme, ses travaux et ses jours.

    Depuis les siècles des siècles, tu tournes et te retournes, au trot obstiné d'un animal humain :
    tes jours sont longs comme des années, et d'années en années tes jours marquent le chemin. 

    Non l'horloge du banquier ou celle du chef : le Soleil est ton patron, et ton journal c'est la sueur,
    rosée de chaque jour, qui dans ton calvaire quotidien devient une couronne transparente,
    - bien que ta face ne soit essuyée par aucun linge de Véronique, ni celui de la photographie
    du grand patron en tournée que multiplient les cartels : ta face est le soleil usé du centième,
    de l'universel visage à moitié effacé;

    Tu parles une langue que ne parlent pas ceux qui parlent de toi depuis leurs chaires,
    et jurent par ton nom en vain, les tuteurs de ton futur, les décideurs de tes os.

    Ta langue est arbre de racine et d'eau, système fluvial souterrain de l'esprit,
    et tes paroles vont -déchaussées, sur la pointe des pieds- d'un silence à un autre.

    Tu es frugal et résigné, et tu vis comme si tu étais un oiseau, d'une poignée de pinole
    dans une jarre d'atole;

    Tu marches et tes pas sont la bruine dans la poussière;
    tu es propre comme un cerf, tu marches vêtu de coton, et ton pantalon et ta chemise raccomodée
    sont plus blancs que les nuages blancs.

    Tu t'enivres avec des liqueurs lunaires;
    la haine te remonte à la tête, comme une fusée, et pareil à elle, brûlé, tu t'effondres.

    Tu parcoures les saisons, rivé là, et vas du portique à l'autel, avec les genoux ensanglantés,
    et le cierge qui s'élève dans ta main coule en gouttes de cire qui te brûlent.

    Tu es courtois et cérémonieux, réservé et un peu hypocrite; comme tous les dévots,
    tu es capable de modeler avec une pierre le visage du schismatique et de l'adultère.

    Tu allonges ta femme dans le hamac, et la couvre avec une couverture de battements;

    A deux heures, un instant, tu suspends le travail et la conversation, pour écouter,
    merveille répétée, l'oiseau, horloge ailée, donner l'heure.

    Tu es juste et tendre, prévenant avec tes porcs et tes fils :

    comme l'épi de maïs, ton Dieu est fait de nombreux saints et il y a beaucoup de siècles
    dans ton année.

    Un dindon est ton unique fierté, et tu l'as sacrifié un jour de copal et tu nous a guéri;

    tu arroses la pluie de fleurs jaunes, gouttes de soleil, sur la tombe de tes morts.

    Ce n'est pas le rythme obscur, le renouveau de chaque jour et la mort répétée de chaque nuit
    qui t'amène à la terre.

    IV)

    C'est l'argent et sa ronde, l'argent et ses numéros creux, l'argent et son cortège de spectres.

    L'argent est une fastueuse géographie : montagnes d'or et de cuivre, fleuves d'argent et de nickel,
    arbres de jade et l'épais feuillage de la monnaie.

    Ses jardins sont aseptisés, son printemps perpétuel est congelé, ses fleurs sont des pierres précieuses
    sans odeur, ses oiseaux volent avec des ascenseurs, ses saisons changent avec l'aiguille de l'horloge.

    La mort est un rêve dont ne rêve pas l'argent. L'argent ne dit pas : tu es. L'argent dit : combien.

    Avoir beaucoup d'argent est pire que de n'en avoir pas.

    Savoir compter n'est pas savoir chanter.

    Joie et peine ne s'achètent ni ne se vendent.

    La pyramide nie l'argent, l'Idole nie l'argent, le sorcier nie l'argent, la vierge,
    l'enfant et le Saint nient l'argent.

    L'analphabêtisme est une sagesse qu'ignore l'argent.

    L'argent ouvre les portes de la maison du roi et ferme celles du pardon.

    L'argent est le grand prestidigitateur : il fait s'évaporer tout ce qu'il touche,
    ton sang et ta sueur, ta larme et ton idée. L'argent te réduit à néant.

    Entre tous nous construisons le palais de l'argent : le grand zéro.

    Non le travail : l'argent est le châtiment. Le travail nous donne de manger et dormir.
    L'argent est l'araignée et l'homme la mouche. Le travail fait les choses.
    L'argent suce le sang des choses.

    Le travail est le toit, la table, le lit; l'argent n'a ni corps, ni tête, ni âme.

    L'argent assèche le sang du monde, il fait tourner la tête de l'homme.

    Escalier d'heures, de mois et d'années en haut duquel nous ne rencontrons personne.

    Un monument que ta mort amène à la mort.


    Octavio Paz
    Traduit de l'espagnol par E. Dupas
     

 

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