Sarah, voluptueuse et rousse, charme les serpents : dans sa
tunique de satin vert constellé de verroterie, elle appelle lascivement les
étreintes larges et molles, intenses et lentes et persuasives. Le tambourin
nasille sur d'étranges rythmes, de plus étranges motifs selon les paresseux
enveloppements des boas engourdis et des tendres pythons.
Et les quinquets encrassent l'atmosphère crapuleuse de la
baraque en planches : des odeurs stagnent, senteurs des chairs moites et
chaudes, parfums d'aisselles trempées, de toisons prostituées à toutes les luxures,
parfums violents où se définit l'infecte puissance des muscs et des cambouis...
La flamme des lampes est lourde et charnellement triste. Et tous sont là :
troupeau de mâles énervés, les maxillaires durs et cruels, avec le même pli
douloureux des lèvres et la fixité du regard.
Sarah danse, souple dans la spirale mouvante des monstres :
elle s'échauffe peu à peu, petite prostituée nerveuse, petite prostituée du
délire... Elle entrelace la complexité des rythmes et la danse l'enivre et les
bêtes la violent d'une possession totale : une étreinte lui lie la taille et
l'enserre d'une volupté morbide. Elle danse les cuisses baguées d'écailles, la
gorge serrée d'une tendresse sans nom, crispée, souillée, pamée, radieuse. Et,
d'un geste grave, elle élève la tête en triangle des monstres à fleur de
bouche, les yeux démesurément élargis, pétrifiés de peur, de terreur
consentante.
Francis Carco In « Poèmes »
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