Samedi 10 Octobre  2015 :  O Outeiro > Santiago (16 km)

 


    La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
    Blaise Cendrars
    (Suite...)

    J’ai vu
    J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient
    et qui passaient en fantômes
    Et mon œil, comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains
    A Talga 100.000 blessés agonisaient faute de soins
    J’ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk
    Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous
    J’ai vu, dans les lazarets, des plaies béantes, des blessures qui saignaient à pleines orgues
    Et les membres amputés dansaient autour ou s’envolaient dans l’air rauque
    L’incendie était sur toutes les faces, dans tous les cœurs
    Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres
    Et sous la pression de la peur, les regards crevaient comme des abcès

    Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons
    Et j’ai vu
    J’ai vu des trains de 60 locomotives qui s’enfuyaient à toute vapeur
    pourchassées par les horizons en rut
    et des bandes de corbeaux qui s’envolaient désespérément après
    Disparaître
    Dans la direction de Port-Arthur.

    À Tchita nous eûmes quelques jours de répit
    Arrêt de cinq jours vu l’encombrement de la voie
    Nous le passâmes chez Monsieur Iankéléwitch qui voulait me donner sa fille unique en mariage
    Puis le train repartit.
    Maintenant c’était moi qui avais pris place au piano et j’avais mal aux dents
    Je revois quand je veux cet intérieur si calme, le magasin du père et les yeux de la fille
    qui venait le soir dans mon lit
    Moussorgsky
    Et les lieder de Hugo Wolf
    Et les sables du Gobi
    Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs
    Je crois bien que j’étais ivre durant plus de 500 kilomètres
    Mais j’étais au piano et c’est tout ce que je vis
    Quand on voyage on devrait fermer les yeux
    Dormir
    J’aurais tant voulu dormir
    Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur
    Et je reconnais tous les trains au bruit qu’ils font
    Les trains d’Europe sont à quatre temps tandis que ceux d’Asie sont à cinq ou sept temps
    D’autres vont en sourdine, sont des berceuses
    Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappellent la prose lourde de Maeterlinck
    J’ai déchiffré tous les textes confus des roues et j’ai rassemblé les éléments épars
    d’une violente beauté
    Que je possède
    Et qui me force.

    Tsitsika et Kharbine
    Je ne vais pas plus loin
    C’est la dernière station
    Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

    .......
     



Départ de l'étape dans la nuit...


Un dernier beau lever de soleil sur le Chemin...

                                             
Calvaire et Eglise à Piñeiro


Pont de pierre à Piñeiro


Vignes en tonnelle sur le Camiño Real de Piñeiro


Les bougainvilliers sont encore en fleurs !



Le pont du souvenir au-dessus de la voie ferrée, à l'endroit où a eu lieu le déraillement du train Alvia 151 le 24 juillet 2013,
avec un lourd bilan de 79 morts et 140 blessés...






L'arrivée à
Saint-Jacques de Compostelle





Après ce pont de pierre, c'est l'entrée dans la ville...


La queue des pèlerins devant le bureau des pèlerins, attendant de recevoir la Compostela



Après 51 jours d'une pérégrination à travers ces belles terres d'Espagne,
souvent dans la solitude et l'incantation poétique, j'ai fait mes derniers pas
sur la place de l'Obradoiro et je me suis retrouvé petit pèlerin insignifiant
au milieu d'une foule en débandade qui envahissait la Cathédrale pour
cette "Messe des Pèlerins" couronnée en apothéose par le spectacle toujours
impressionnant du Botafumeiro qui s'envolait dans le transept emportant
avec lui les illusions et les fantasmes de tous les pérégrinants...




La Cathédrale de Santiago

         


           
La nef centrale de la Cathédrale et la Statue de Saint-Jacques au-dessus du maître-autel
Les pèlerins peuvent aller baiser le manteau du saint en empruntant un escalier placé derrière l'autel.



Le Botafumeiro


L'Orgue de la Cathédrale


Le tombeau de Saint-Jacques


Statue de Saint-Jacques sur une façade de la Cathédrale

Ô Santiago, tu es l'alpha et l'oméga... 
Tu es porteuse de tant d'espoirs et de désillusions... 
Tu es la convergence des peuples du monde
et l'arc électrique qui soude les consciences...
Tu es le point de rencontre de tant d'invocations et de supplications...
Tu irradies une flamme qui vient embraser les coeurs de toutes
ces vies offertes qui n'ont pas trouvé le réconfort d'une foi salvatrice !


     




Dîner le soir à l'Hospederia Seminario Mayor (San Martin Pinario)


Le lendemain matin, je fais un dernier tour à la Cathédrale avant d'aller prendre mon train pour Hendaye

 


    Je quitte l'Albergue à 7h avec la frontale car il fait encore nuit. Il a plu vers 5 h, mais maintenant
    le ciel est bien dégagé. Le dernier croissant de lune s'endort dans une nappe de brume et la
    Grande Ourse est allongée paresseusement sur le sommet des arbres qui recouvrent la colline
    que je traverse. Il y a 16 km pour arriver à Saint-Jacques, que je vais parcourir d'un bon pas, pour
    arriver tôt. Je traverse de nombreux hameaux où je cueille mes dernières grappes de raisin.
    Le Chemin fait beaucoup de zigzags et il y a de nombreux dénivelés qui se succèdent et qui
    fatiguent, mais c'est la dernière étape et je suis porté par l'enthousiasme et le bonheur d'avoir
    parcouru cette longue distance depuis Valencia et cela me donne des ailes !

    On jouxte assez souvent la N525, on la traverse plusieurs fois, mais sur l'ensemble du parcours,
    on est plutôt sur des petites routes peu circulantes et des chemins campagnards.

    Enfin j'arrive en vue de Santiago et ce sont les tours mutilées de la Cathédrale à cause de la
    restauration de l'édifice, qui apparaissent en premier.
    Je mets une demi-heure pour traverser une partie de la ville et arriver sur la Place de l'Obradoiro
    où je me fais prendre en photo comme il se doit !

    Je vais ensuite poser mon sac à la Pension Ramos et prendre mon billet de train pour Hendaye
    dans le local de la Renfe à côté du bureau des pèlerins. Je rentre ensuite dans la Cathédrale pour
    assister à midi à la messe des pèlerins qui trouvera son point d'orgue avec le balancement toujours
    aussi impressionnant du Botafumeiro.

    Je retourne à la Pension pour prendre une douche et me changer. Je vais ensuite dans un bar
    manger des Pimientos de Padron, mon plat préféré, et boire des verres de vin blanc Albariño.
    Puis je me rends à l'Hospederia San Martin pour un temps de partage avec des pèlerins français.

    Je retourne ensuite dans le quartier proche de la Cathédrale, Rua Vilar, Rua Franco pour acheter
    des porte-clés et des boucles d'oreille pour ma compagne. Je vais ensuite dans une cafeteria boire
    quelques verres, aller sur internet et téléphoner.
    J'attends l'appel des 4 français avec lesquels j'ai dîné hier soir et que je devrais retrouver pour
    passer ensemble la soirée. Appel qui ne viendra pas, car j'ai oublié de leur donner mon téléphone.
    Je leur avais bien communiqué le nom de mon site et ils auraient pu facilement me joindre par mail,
    mais ils n'ont sans doute pas pensé à ce moyen facile de me contacter... Je me prépare à une soirée
    solitaire quand je rencontre une pèlerine de Metz que j'avais connue après Zamora et nous allons
    dîner ensemble au restaurant de l'Hospederia San Martin Pinario.

    Voilà, la pérégrination de cette année 2015 s'achève sur un dernier verre et un échange d'amitié
    pèlerine...Je rentre à la Pension pour cette dernière nuit sur le sol Espagnol avant de prendre le
    train demain matin pour Hendaye...
     


Lien avec le site Mundicamino  
 


Hébergement à la Pension Ramos - 18 Rua da Raiña (parallèle à la Rua do Vilar)
Tél. 981 58 18 59
22 euros la nuit - C'est proche de la Cathédrale et tranquille.
C'était la 4ème fois que j'allais à cette Pension
4 Coquilles
 


Lien avec mon arrivée à Santiago en 2005 (Camino Francés)

Lien avec mon arrivée à Santiago en 2006 (Camino del Norte - Camino Primitivo)

Lien avec mon arrivée à Santiago en 2007 (Camino Portugues)

Lien avec mon arrivée à Santiago en 2008 (Via de la Plata)
 


    EPILOGUE : Réflexion dans le train en rentrant de Compostelle :

    Le sac est sur le porte-bagages, les jambes démangent et les yeux sont encore sur le Chemin tout pleins
    des lignes entrecroisées des sentiers et des pistes foulés dans l'ivresse de la pérégrination au long cours...
    Au rythme du train se rembobinent mes souvenirs et ma mémoire est toute emplie de l'écho des poèmes
    qui m'ont accompagnés durant ces 7 semaines...

    Saint-Jacques et la Galice sont maintenant bien loin de mes yeux, 
    et défilent par les grandes baies vitrées les plaines du Roussillon...

    Ô les chemins que j'ai parcourus, souvenez-vous de moi, pour que mes petits pas de pèlerin laissent
    à jamais une trace dans le vaste coeur de ce monde, pour que ces moments d'extase et d'osmose poétique
    soient transmis avec ferveur aux survivants de ce siècle balayé par les souffles de haine, de larmes et de sang...

    Mais ô l'amour,
    ô les délices de l'amitié, 
    ô le rire d'un enfant,
    ô tous ces gestes de tendresse qui lient les humains, 
    ô l'espérance je vous garde précieusement au fond de mon coeur !...

     




    La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
    Blaise Cendrars
    (Suite et Fin)

    Ô Paris
    Grand foyer chaleureux avec les tisons entrecroisés de tes rues
    et tes vieilles maisons qui se penchent au-dessus et se réchauffent
    Comme des aïeules
    Et voici des affiches, du rouge du vert multicolores comme mon passé bref du jaune
    Jaune la fière couleur des romans de la France à l’étranger.

    J’aime me frotter dans les grandes villes aux autobus en marche
    Ceux de la ligne Saint-Germain-Montmartre m’emportent à l’assaut de la Butte
    Les moteurs beuglent comme les taureaux d’or
    Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-Cœur
    Ô Paris
    Gare centrale débarcadère des volontés carrefour des inquiétudes
    Seuls les marchands de couleur ont encore un peu de lumière sur leur porte
    La Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens
    m’a envoyé son prospectus
    C’est la plus belle église du monde

    J’ai des amis qui m’entourent comme des garde-fous
    Ils ont peur quand je pars que je ne revienne plus
    Toutes les femmes que j’ai rencontrées se dressent aux horizons
    Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie
    Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie
    Et celle, la mère de mon amour en Amérique
    Il y a des cris de sirène qui me déchirent l’âme
    Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement
    Je voudrais
    Je voudrais n’avoir jamais fait mes voyages
    Ce soir un grand amour me tourmente
    Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France.
    C’est par un soir de tristesse que j’ai écrit ce poème en son honneur

    Jeanne
    La petite prostituée
    Je suis triste je suis triste
    J’irai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue
    Et boire des petits verres
    Puis je rentrerai seul

    Paris

    Ville de la Tour unique du grand Gibet et de la Roue.

    Paris, 1913

     

 

Les Statues de Saint-Jacques sur la façade est de la Cathédrale

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