La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France Blaise Cendrars (Suite...)
“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Mais oui, tu m’énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin
La folie surchauffée beugle dans la locomotive
La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route
Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel
La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade
Et fiente des batailles en tas puants de morts
Fais comme elle, fais ton métier…
“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Oui, nous le sommes, nous le sommes
Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert
Entends les sonnailles de ce troupeau galeux
Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara
Pensa-Touloune
La mort en Mandchourie
Est notre débarcadère est notre dernier repaire
Ce voyage est terrible
Hier matin
Ivan Oulitch avait les cheveux blancs
Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts depuis quinze jours…
Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier
Ça coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles
Enfièvre les banquettes et rougeoie sous la table
Le diable est au piano
Ses doigts noueux excitent toutes les femmes
La Nature
Les Gouges
Fais ton métier
Jusqu’à Kharbine…
“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
Non mais… fiche-moi la paix… laisse-moi tranquille
Tu as les hanches angulaires
Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse
C’est tout ce que Paris a mis dans ton giron
C’est aussi un peu d’âme… car tu es malheureuse
J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi sur mon cœur
Les roues sont les moulins à vent du pays de Cocagne
Et les moulins à vent sont les béquilles qu’un mendiant fait tournoyer
Nous sommes les culs-de-jatte de l’espace
Nous roulons sur nos quatre plaies
On nous a rogné les ailes
Les ailes de nos sept péchés
Et tous les trains sont les bilboquets du diable
Basse-cour
Le monde moderne
La vitesse n’y peut mais
Le monde moderne
Les lointains sont par trop loin
Et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme…
“Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?”
J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi je vais te conter une histoire
Viens dans mon lit
Viens sur mon cœur
Je vais te conter une histoire…
Oh viens! viens!
Aux Fidji règne l’éternel printemps
La paresse
L’amour pâme les couples dans l’herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les
bananiers
Viens dans les îles perdues du Pacifique!
Elles ont nom du Phénix, des Marquises
Bornéo et Java
Et Célèbes a la forme d’un chat.
Nous ne pouvons pas aller au Japon
Viens au Mexique!
Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et les pinceaux d’un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs,
Rousseau y a été
Il y a ébloui sa vie
C’est le pays des oiseaux
L’oiseau du paradis, l’oiseau-lyre
Le toucan, l’oiseau moqueur
Et le colibri niche au cœur des lys noirs
Viens!
Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d’un temple aztèque
Tu seras mon idole
Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange
Oh viens! .......... Suite à l'étape suivante...
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