Mercredi 7 Octobre  2015 :  Chantada > Rodeiro (27,7 km)

 


    La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
    Blaise Cendrars

    Dédiée aux Musiciens

    En ce temps-là j’étais en mon adolescence
    J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
    J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
    J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
    Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
    Car mon adolescence était si ardente et si folle
    Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple
    d’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou
    Quand le soleil se couche.
    Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
    Et j’étais déjà si mauvais poète
    Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.

    Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare
    Croustillé d’or,
    Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches
    Et l’or mielleux des cloches…

    Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
    J’avais soif
    Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
    Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place
    Et mes mains s’envolaient aussi, avec des bruissements d’albatros
    Et ceci, c’était les dernières réminiscences du dernier jour
    Du tout dernier voyage
    Et de la mer.

    Pourtant, j’étais fort mauvais poète.
    Je ne savais pas aller jusqu’au bout.
    J’avais faim
    Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres
    J’aurais voulu les boire et les casser
    Et toutes les vitrines et toutes les rues
    Et toutes les maisons et toutes les vies
    Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés
    J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives
    Et j’aurais voulu broyer tous les os
    Et arracher toutes les langues
    Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent…
    Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe…
    Et le soleil était une mauvaise plaie
    Qui s’ouvrait comme un brasier.

    En ce temps-là j’étais en mon adolescence
    J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance
    J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes
    Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux

    En Sibérie tonnait le canon, c’était la guerre
    La faim le froid la peste le choléra
    Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes.
    Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains
    Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets
    Et les soldats qui s’en allaient auraient bien voulu rester…
    Un vieux moine me chantait la légende de Novgorode.

    Moi, le mauvais poète qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout
    Et aussi les marchands avaient encore assez d’argent
    Pour aller tenter faire fortune.
    Leur train partait tous les vendredis matin.
    On disait qu’il y avait beaucoup de morts.
    L’un emportait cent caisses de réveils et de coucous de la Forêt-Noire
    Un autre, des boîtes à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield
    Un autre, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve et de sardines à l’huile
    Puis il y avait beaucoup de femmes
    Des femmes, des entre-jambes à louer qui pouvaient aussi servir
    De cercueils
    Elles étaient toutes patentées
    On disait qu’il y avait beaucoup de morts là-bas
    Elles voyageaient à prix réduits
    Et avaient toutes un compte-courant à la banque.

    .......
     



Horreo !
pour entreposer les grains ?
ou pour ensevelir mes rêves ?...


Ô belle fontaine
tu laves les pleurs...
mais la joie aussi fait couler les larmes...



En
vain le jour succède au jour,
Ils glissent sans laisser de trace ;
Dans mon âme rien ne t'efface,
O dernier songe de l'amour !

Je vois mes rapides années
S'accumuler derrière moi,
Comme le chêne autour de soi
Voit tomber ses feuilles fanées.

Alphonse de Lamartine - Méditations poétiques (1820)


Au pied de ce Horreo à Penasillas, je bavarde un moment avec ce villageois...


La chapelle de Penasillas


Le tronc est tombé en travers du Chemin, je grignote des châtaignes...


La montée par une large piste empierrée et sableuse qui mène à
l'Ermita de O Faro ( 1155 m)


Mémorial
à Uxio Novoneyra poète espagnol mort à Santiago en 1999


O Faro d'où j'embrasse un superbe paysage !


Le chemin de croix qui mène à l'Ermita de O Faro


Les gardiens séculaires de ces contrées sauvages...


Et voilà "el peregrino un poco loco" !!!


C'est le mont des éoliennes...elles s'alignent sur tous les sommets...


La vallée s'étend au loin avec cette palette de tons verts rafraîchissants !


Bon ! je suis sur le bon chemin !

     
Les seuls compagnons de cette fin d'étape






L'église et le cimetière du pueblo de Camba



Rodeiro


    Après le petit-déjeuner, je quitte l'hôtel à 7h30. Je traverse le haut de Chantada pour rejoindre
    le Chemin. Il fait encore nuit, le ciel est couvert mais le temps ne semble pas être à la pluie.
    Par précaution j'ai mis mes guêtres et la cape est au-dessus du sac, facile à attraper...
    Je suis une petite route, puis des chemins de campagne jusqu'au premier village Vilaseco.
    Un peu plus loin à Penasillas, je discute un moment avec un homme assis au pied d'un
    horreo de grande taille, puis je vais boire un coca au Bar O Peto où je reçois un bon accueil
    de la part du patron avec lequel j'ai quelques échanges.

    Ensuite c'est une longue montée parfois un peu raide pour arriver au sommet du mont Faro
    où se trouve un ermitage. Le dénivelé est de 500 mètres et je grimpe tranquillement en prenant
    le temps d'admirer le paysage
    environnant et la vallée qui s'étend au loin à demi ensevelie dans
    la brume. Sur le plateau, j'aperçois 2 chevreuils qui, dès qu'ils m'aperçoivent, bondissent et
    disparaissent
    dans les bois. Arrivé au point haut, je laisse l'ermitage et le chemin de croix
    sur ma gauche
    et un peu plus loin, je fais une pause dans une aire de repos.

    Il y a ensuite une longue descente au milieu d'éoliennes géantes dont certaines mesuraient
    60 mètres de hauteur ! Il y a de superbe panoramas de part et d'autre sur les vallées et les
    montagnes environnantes. Je traverse ensuite plusieurs hameaux bien représentatifs de cette 
    belle Galice agricole ! Je finis l'étape en suivant une route assez circulante, mais j'ai fait ce choix
    pour éviter les chemins boueux !

    J'arrive à l'Hostal Carpinteiras où je reçois un bon accueil. J'ai une belle chambre avec salle de bains
    et un bon lit ! Je prends le dîner sur place qui est servi par la patronne et je termine avec mon
    habituel verre de Pacharan.


 Lien avec le site Mundicamino 
 


Hébergement à l'Hostal-restaurante Carpinteiras
62 Ctra General - Tél. 986 79 01 96
Belle chambre avec Salle de Bains - Prix 20 Euros
Bon accueil  et  bon dîner servi au restaurant attenant
3 Coquilles
 



    La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
    Blaise Cendrars
    (Suite...)

    Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour
    On était en décembre
    Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine
    Nous avions deux coupés dans l’express et 34 coffres de joaillerie de Pforzheim
    De la camelote allemande “Made in Germany”
    Il m’avait habillé de neuf, et en montant dans le train j’avais perdu un bouton
    - Je m’en souviens, je m’en souviens, j’y ai souvent pensé depuis -
    Je couchais sur les coffres et j’étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé qu’il m’avait aussi donné

    J’étais très heureux insouciant
    Je croyais jouer aux brigands
    Nous avions volé le trésor de Golconde
    Et nous allions, grâce au transsibérien, le cacher de l’autre côté du monde
    Je devais le défendre contre les voleurs de l’Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne
    Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine
    Et les enragés petits mongols du Grand-Lama
    Alibaba et les quarante voleurs
    Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne
    Et surtout, contre les plus modernes
    Les rats d’hôtel
    Et les spécialistes des express internationaux.

    Et pourtant, et pourtant
    J’étais triste comme un enfant.
    Les rythmes du train
    La “moëlle chemin-de-fer” des psychiatres américains
    Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés
    Le ferlin d’or de mon avenir
    Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d’à côté
    L’épatante présence de Jeanne
    L’homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant
    Froissis de femmes
    Et le sifflement de la vapeur
    Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel
    Les vitres sont givrées
    Pas de nature!
    Et derrière les plaines sibériennes, le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent

    Je suis couché dans un plaid
    Bariolé
    Comme ma vie
    Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle Écossais
    Et l’Europe tout entière aperçue au coupe-vent d’un express à toute vapeur
    N’est pas plus riche que ma vie
    Ma pauvre vie
    Ce châle
    Effiloché sur des coffres remplis d’or
    Avec lesquels je roule
    Que je rêve
    Que je fume
    Et la seule flamme de l’univers
    Est une pauvre pensée…

    Du fond de mon cœur des larmes me viennent
    Si je pense, Amour, à ma maîtresse;
    Elle n’est qu’une enfant, que je trouvai ainsi
    Pâle, immaculée, au fond d’un bordel.

    Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,
    Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;
    Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire,
    Tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète.

    Elle est douce et muette, sans aucun reproche,
    Avec un long tressaillement à votre approche;
    Mais quand moi je lui viens, de-ci, de-là, de fête,
    Elle fait un pas, puis ferme les yeux – et fait un pas.
    Car elle est mon amour, et les autres femmes
    N’ont que des robes d’or sur de grands corps de flammes,
    Ma pauvre amie est si esseulée,
    Elle est toute nue, n’a pas de corps – elle est trop pauvre.

    Elle n’est qu’une fleur candide, fluette,
    La fleur du poète, un pauvre lys d’argent,
    Tout froid, tout seul, et déjà si fané
    Que les larmes me viennent si je pense à son cœur.

    Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit
    - Les comètes tombent -
    Et que l’homme et la femme, même jeunes, s’amusent à faire l’amour.
    ........
    Suite à l'étape suivante...
     


L'éolienne géante de 60 mètres de hauteur

Etape suivante

Retour