... Je n'ai plus de fièvre ce matin. Ma tête est de
nouveau claire et vacante, posée comme un rocher sur un verger à ton image. Le
vent qui soufflait du Nord hier fait tressaillir par endroits le flanc meurtri
des arbres.
Je sens que ce pays te doit une émotivité moins
défiante et des yeux autres que ceux à travers lesquels il considérait toutes
choses auparavant. Tu es partie mais tu demeures dans l'inflexion des
circonstances, puisque lui et moi avons mal. Pour te rassurer dans ma pensée,
j'ai rompu avec les visiteurs éventuels, avec les besognes et la contradiction.
Je me repose comme tu assures que je dois le faire. Je vais souvent à la montagne
dormir. C'est alors qu'avec l'aide d'une nature à présent favorable, je
m'évade des échardes enfoncées dans ma chair, vieux accidents, âpres tournois.
Pourras-tu accepter contre toi un homme si haletant?
Lunes et nuit, vous êtes un
loup de velours noir, village, sur la veillée de mon amour.
« Scrute tes paupières », me
disait ma mère, penchée sur mon avant-sommeil d'écolier. J'apercevais flottant
un petit caillou, tantôt paresseux, tantôt strident, un galet pour verdir dans
l'herbe. Je pleurais. Je l'eusse voulu dans mon âme, et seulement là.
Chant d'Insomnie :
« Amour hélant, l'Amoureuse viendra,
Gloria de l'été, ô fruits!
La flèche du soleil traversera ses lèvres,
Le trèfle nu sur sa chair bouclera,
Miniature semblable à l'iris, l'orchidée,
Cadeau le plus ancien des prairies au plaisir
Que la cascade instille, que la bouche délivre. »
Je voudrais me glisser dans une forêt où les plantes se
refermeraient et s'éteindraient derrière nous, forêt nombre de fois centenaire,
mais elle reste à semer. C'est un chagrin d'avoir, dans sa courte vie, passé à
côté du feu avec des mains de pêcheur d'éponges. « Deux étincelles, tes
aïeules », raille l'alto du temps, sans compassion.
Mon éloge tournoie sur les boucles de ton front, comme
un épervier à bec droit.
L'automne! Le parc compte ses arbres bien distincts.
Celui-ci est roux traditionnellement; cet autre, fermant le chemin, est une
bouillie d'épines. Le rouge-gorge est arrivé, le gentil luthier des campagnes.
Les gouttes de son chant s'égrènent sur le carreau de la fenêtre. Dans l'herbe
de la pelouse grelottent de magiques assassinats d'insectes. Écoute, mais
n'entends pas.
Parfois j'imagine qu'il serait bon de se noyer à la
surface d'un étang où nulle barque ne s'aventurerait. Ensuite, ressusciter dans
le courant d'un vrai torrent où tes couleurs bouillonneraient.
II faut que craque ce qui enserre cette ville où tu te
trouves retenue. Vent, vent, vent autour des troncs et sur les chaumes.
J'ai levé les yeux sur la fenêtre de ta chambre. Astu
tout emporté ? Ce n'est qu'un flocon qui fond sur ma paupière. Laide saison où
l'on croit regretter, où l'on projette, alors qu'on s'aveulit.
L'air que je sens toujours prêt à manquer à la plupart
des êtres, s'il te traverse, a une profusion et des loisirs étincelants.
Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance
unique.
René Char In,
« La parole en archipel »
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