I -Ceux qui nous attendaient
– Sept poèmes pour une morte
Ceux qui nous attendaient, se sont lassés d’attendre, Et sont morts sans savoir
que nous allions venir, Ont refermé leurs bras
qu’ils ne peuvent plus tendre, Nous léguant un remords
au lieu d’un souvenir.
Les prières, les fleurs, le geste le plus tendre, Sont des présents tardifs
que rien ne peut bénir ; Les vivants par les morts
ne se font pas entendre ; La mort, quand vient la
mort, nous joint sans nous unir.
Nous ne connaîtrons pas
la douceur de leurs tombes. Nos cris, lancés trop
tard, se fatiguent, retombent, Pénètrent sans écho la sourde
éternité ; Et les morts dédaigneux,
ou forcés de se taire, Ne nous écoutent pas, au
seuil noir du mystère, Pleurer
sur un amour qui n’a jamais été.
II- Voici le miel qui suinte -
Sept poèmes pour une morte
Voici le miel qui suinte au cœur profond des roses, Les couleurs, les parfums et les souffles aimés. Vous ne sourirez plus à la beauté des choses ; Vos bras prompts à s’ouvrir se sont enfin fermés.
Vous ne sentirez pas, sur vos paupières closes, Le lent effeuillement des longs pleurs parfumés ; Votre cœur s’est dissous dans les métamorphoses ; J’arrive juste à temps pour vous perdre à jamais.
Voici mes yeux, mes mains, mes pieds qui vous cherchèrent ; Dans cet étroit jardin où d’autres vous couchèrent, J’avance en hésitant comme un triste étranger.
Je vous rejoins trop tard... Je me repens, j’envie Ceux qui, mieux avertis que tout est passager, Vous montraient leur amour quand vous étiez en vie.
Marguerite Yourcenar
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