Elégies pour le temps de vivre
Je parlerai du mot pluie,
du mot silence sous la pluie,
je parlerai du jardin sous la pluie,
de la facilité des fleurs à accepter les confidences du matin,
Je parlerai des vestiges, de tuiles tombées, de fontaines taries, de sources renaissantes, je parlerai de pulsations, de paupières, je marcherai vers la montagne,
je me précèderai.
Parler, parler encore,
là où le soleil s'étonne de frémir dans les branches,
là où les chemins entrent au cœur du monde,
parler, défaire, chaque mot et se noyer en lui
jusqu'à sentir bouger l'éternité
dans le geste qu'on fait en saluant l'enfant
qui sort en secret de chez lui pour retrouver son camarade
et gagner un peu de temps sur le sommeil,
le suivre cet enfant, se glisser dans sa chair,
rouler avec lui dans les fossés,
s'arrêter un instant pour accueillir le ciel, ne plus savoir où sont les frontières, obéir aux étoiles, s'enfouir dans un langage qui monte de la terre.
Et avec lui, l'enfant, désapprendre qui je suis,
chercher dans la soudaineté d'une ombre
la vibration des regards perdus,
errer jusqu'à l' entrée d'une maison
où je n'attends personne puisque j'ai retrouvé la clé des songes et sous les songes la parole qui vit pour moi du mot pluie, du mot silence et de l'enfant qui ne dit rien
pour ne rien obscurcir.
Tu ouvres la terre, tu retrouves ton premier cri,
déchirure dans le tissu du temps,
tu prends les sources contre toi,
tu les fais courir sous ta peau, dans ta chair, comme autant de nouveaux vaisseaux.
Tu creuses, creuses encore,
tu retrouves les empreintes
que le ciel a laissées dans tes os et sur les pierres familières où tu aimes t'asseoir,
en fin d'après-midi, au bord du lac, lorsque les constellations de l'automne
se confondent avec celles de vaguelettes
qui viennent s'effacer lentement sur les bords.
Tu t'ouvres au monde comme on s'ouvre à l'amour,
tu ne te contentes pas des promesses futiles,
des confidences inachevées, tu accompagnes le chant toujours vierge des merles et le balancement des sapins qui frôlent la lumière. Tu vis la déchirure où s'engouffre ta vie,
tu pars à la rencontre des autres tremblements que les herbes mouvantes préparent dans l'ivresse de leur disparition, tu pars sans regrets,
tu tires le fil qui fait vibrer le temps au-dessus de ton premier
cri.
Richard Rognet
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