Je n' ai pas toujours connu l' enfer. Il fut même
un temps, invérifiable et donc sans commune mesure avec ma vie actuelle, où le
paradis paradait dans mes langes. Mais cette année-là, j'avais juste treize ans et
n’ayant pas d' amoureuse encore, sinon la muse qui me servait des vers autant
qu'on peut en boire quand on a cet âge-là et qu' on se croit poète, je rêvais
des femmes longuement.
Et vrai, toutes mes nuits passaient de Blanche à
Laure les femmes en revue, toutes les femmes en L, Luce, Lili, Léonce, Léone,
Lenny, et Marielle aussi, et Isabelle, Christel, Estelle et Claire, Clara,
Claude, Clothilde, enfin toutes les femmes en ailes, mes préférées pour le côté
volage et volatile qu'on peut ici, en enfer, facilement vérifier à ses dépens
; toutes, femmes-fées qui s' étaient envolées avant que je décolle, gros benêt
benoîtement couvé chez les frères maristes, à m' échauffer les sangs aux heures
d'étude moites dans les bonnes pages illustrées du dictionnaire Larousse.
Comme la belle souffleuse de la couverture, je
semais à tout vent moi aussi dans mes beaux draps de petit pécheur en chambre,
sous la triste veilleuse que poissaient un cent de mouches collées par les
ailes et qui vibraient à longueur de nuit.
Guy Goffette - Extrait
de "Presqu' Elles"
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