Texte extrait du très beau livre de André Weill :
"Sur le chemin d'Assise, présence et simplicité" :
Trassilico
Dix heures de sommeil, ça remet un pèlerin sur pied. Et ce matin, la route
serpente en Pleine Confiance. Elle descend les escaliers de la joie vers les
vignes, les oliviers et les hérons du Turrite di gallicano qui jouent à
cache-cache mange-mange avec les truites. Manger, être mangé. Ainsi la sainte
lèpre universelle.
Dans Trassilico, le
chemin retrouve trace de vieilles lèpres universelles : ce sont des pancartes
qui rappellent la misère des partisans et de l’armée américaine combattant
les armées fascistes « Quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de
misère ». Puis nouvelle
longue montée à travers les châtaigniers. Ces arbres ont été introduits au
10ème siècle en remplacement de la forêt de chêne et de charme. Ils ont permis
l’implantation de la population et des animaux domestiques. Il reste même un
tronc d’arbre multi centenaire, celui du Castagno del diavolo.
Le sentier grimpe en
lacet vers la lumière, là-haut jusqu’à Foce Palodina. Douceur de la marche, en
appui sur le bâton. Pas de perte de repère, pas de vertige. Au contraire, une
douce procession des instants présents. Le temps nous traverse en une file
indienne calme, paisible, lumineuse. Sthira Sukham Asanam dirait
Patanjali.
Il est midi, ce 14
août, il fait très chaud. A la fontaine San Luigi, les abeilles bourdonnent la
liberté. Durant la sieste, la tête pique du nez, les pensées s’évadent de leur
prison. Devenus sans contrainte, les mots s’amusent. Ils vont et viennent, se
lâchent dans la tête comme des ballons en plein ciel. Ils se chantent et se
récitent. Se psalmodient pour le plaisir. Le verbe se rêve marche. Et le cœur
troubadour. Détente et ouverture, pleine lumière. Presque peur d’assister au
spectacle, d’être là, immobile, assis à l’ombre de la chapelle. Joie d’exister
sans corporalité, de contempler le chemin du rêve réalité. Ainsi le Cantique de
François.
L’après-midi, dans
la cathédrale de feuillages, les prières continuent leur ronde enfantine. Elles
vont et viennent, spontanément, sans raison, sans intention, sans destination.
Elles défilent dans un désordre bien déterminé. Seigneur Jésus, prends pitié de
nous. Confiance en l’enseignement de l’Amour. Sarvesham Svastir Bhavatu.
Maintenant. Mourir à soi. Aum shânti shânti shânti. Paix sur la terre. Mourir à
soi avant de mourir à la terre. Priez pour Paix. Priez pour la vie main tenue
debout. La vie, toute la vie. Rien d’autre. Ainsi frère Rufin, qui priait toujours sans arrêt. Même en dormant, même en travaillant, son esprit était
toujours avec le Seigneur.
Cardoso
Le chemin d’Assise,
c’est comme une cellule monastique, avec les murs en moins. Et la lumière en
plus. La lumière de la petite enfance, celle qui s’aime à batifoler, telle un
papillon qui butine les âmes . Hop là, elles apparaissent dans la ligne
droite, hop là elles disparaissent au virage suivant. Certaines sont parfois
reconnaissables, d’autres parfaitement inconnues. Faire et laisser faire. Dire
et laisser dire. Inspire s’élever, expire s’abandonner. Energie. Courage.
Amour. Pas vu le temps passer pour arriver à Cardoso. Normal, le temps ne passe
pas, c’est nous qui passons. Merci Paola pour l’accueil paroissial.
Marche de silence et
d’émerveillement sur de petites routes, en approche de la fontaine de San
Romano. Matinée illuminée par une simple goutte de rosée, un rayon de soleil
sur la vigne. Devant moi la lumière, c’est un ange qui accompagne un enfant. Un chien
les suit. Mystère de l’âme qui se voit traverser la hêtraie en balcon
au-dessus de la vallée du Fiume Serchio. Libres et délicats moments de la vie
qui se chuchote à elle-même.
A nous de savoir
l’écouter. De discerner Fra Angelico dans le contre-jour à travers le
feuillage. D’entendre les trompettes de Giacomo Puccini dans le vent de la
forêt. De percevoir Léonardo da Vinci dans l’exaltation de la forêt. De fêter
Galileo Galilei au zénith du soleil. De surprendre François prêchant à ses
frères les oiseaux.
Impression bizarre
dès le matin en quittant le village. Pressentiment d’un basculement, comme un
appel d’air. La simplicité de la marche ouvre le cœur. Ainsi, au Pian del
Vitellino, devant l’oratoire dédié à Marie, sur le sentier Cune Vetriano, un
peu avant le sanctuaire de San Bartolomeo. Durant la petite pause, le sac se
pose, les yeux se ferment. La ritournelle se remet en place. Sainte Marie priez
pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et…
Les yeux s’ouvrent.
La main de Marie est là, ouverte. En un geste d’offrande elle tient un collier
de cuir portant un Tau monté en pendentif. Oui, c’est vrai, on est le 15 août.
En une fraction de seconde, le Tau et la Main s’engouffrent dans l’espace du
cœur. Je ne suis pas un
exalté des talismans ni des traditions mariales. Je ne sais rien de l’histoire
de cet oratoire. Je ne sais rien de l’histoire de ce Tau. Je ne sais pas à qui
il appartient, comment il a atterri ici, ni de quel message il est porteur.
Mais il est entendu que la main de Marie fera désormais partie du voyage. Elle
m’a donné le Tau de l’amour. Merci Marie, Merci François. Merci de votre
surprenante présence conjointe. L’un et l’autre vous serez toujours les
bienvenus à la Maison.
La foi c’est
l’attention au Vivant. Dit comme ça, la foi c’est très simple. Mais ô combien
facile à compliquer. On en n’a qu’une faible perception tant qu’on n’a pas atteint ce point où elle est libre de toute intention et donc non manipulée par
une demande ou une plainte. Pure expérience de vie, une et sans contraire.
Jaillissement spontané sans obstacle. Dissipation des croyances. Amour
contemplatif. Joyeuse éclaboussure. Grâce libre de toute peur, de tout
conditionnement, de toute imagination, de toute représentation. Ainsi frère
Bernard, dont la foi était aussi parfaite que son amour de la pauvreté.
Foi, lorsque la vie
se sait la vie. Foi, portail
d’entrée à la beauté du monde Foi, mélange
d’amour, d’enfance et d’amour Foi, passerelle du
profane au sacré Foi, troublante
acceptation de la condition humaine Foi, intelligence de
la pauvreté Foi qui coule
limpide et claire Foi qui illumine
d’évidence Foi qui ne va jamais
de soi. Mais de Soi. Foi qui nous met en
marche vers la Maison. Foi qui nous
inquiète et nous émerveille
Borgo a Mozzano
Hébergement confort
ce soir au couvent Saint François, près de la gare. Bel accueil stylé,
professionnel. Dîner au milieu de cinquante personnes âgées résidant dans le
centre. Prendre le repas en compagnie de personnes plus ou moins dépendantes a
déclenché en moi des projections sur ma propre vieillesse. Certains
pensionnaires semblaient vivre ici très simplement dans l’ouverture du cœur.
D’autres semblaient ne jamais être sortis de la plainte, de la récrimination.
Ainsi la multiplicité des œuvres de Dieu.
La sagesse,
contrairement à ce qu'on raconte ne vient pas avec l'âge. Sage, ce n'est pas une question de
temps. C'est une question de cœur et le
cœur n'est pas dans le temps.
Corsagna, Pizzorne
Demain dernière
étape de montagne. Au revoir et merci à vous les montagnes de Ligurie et de
Toscane. Tout au long du chemin, vos pentes m’ont été apaisement ! Je me suis
humanisé dans vos vastitudes. Je n’y ai jamais manqué de rien. Merci mille fois
pour vos silences nourrissants. Merci à vous partigani, passeurs de
lumière.
La Toscane des
collines
Pour les quinze
jours à venir, fini la bienheureuse solitude. Bienvenue aux clichés
touristiques. Bonjour la Via Francigena. Cela provoque une petite contraction
dans le ventre, bien vite repérée et donc sans grosse conséquence. Depuis deux
mois, le chemin solitaire m'a appris à faire confiance à ce qui arrive.
L'Esprit donne toujours en temps voulu ce qui est nécessaire et non pas ce que
nos peurs demandent. Voici les routes et chemins de Toscane, bordées de vignes
et de cyprès. Vive l'innocence. Heureux les simples d'esprit. Le reste apparaît
prétention, bavardage et illusion.
Petrognano
Dans les lumières
cuivrées au dessus de la plaine toscane, la besace s’ébroue, le cœur s’écoule.
Les larmes aussi. Le petit carnet de voyage engrange les béatitudes de
l’instant vivant.
Homme en gratitude Qui se perçoit Revenu à
lui-même Ultreïa, jusqu’au
bout Chemin d’Assise Prodigieux conteur Depuis Aleph jusqu’à
Tav, Alphabet de l’être
Yod, main de
Marie Tau, cœur de
François La vie en l'instant L'en vie de
crier
Crier le
partager Crier l'exister Crier la Joie
parfaite Merci François
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